Dans son pourvoi n° 033/2017/PC du 16 février 2017, la Banque Internationale du Bénin, – BIBE -, avait soumis à la Cour commune de justice et d’arbitrage, – CCJA -, une question d’une très haute importance.
Il s’agissait pour la CCJA de se prononcer sur la décision de la Cour constitutionnelle du Benin. Cette décision de la Cour constitutionnelle avait annulé, pour inconstitutionnalité, un jugement rendu en matière de saisie immobilière impliquant l’Acte uniforme portant procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution, – AUPSRVE -.
L’arrêt n° 027/2018 du 08 février 2018 indique que la CCJA a décliné sa compétence à connaitre, en cassation, d’une décision rendue par une Haute juridiction d’un État partie. De quoi se demander quel est le champ de compétence de la CCJA sur les décisions rendues par une Cour constitutionnelle d’un État Partie ?
Champ d’application de la compétence de la CCJA
Aux termes de l’ article 14 du Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993 de l’Ohada tel que complété et modifié à ce jour, – Traité -, de manière générale, la CCJA assure l’interprétation et l’application communes du Traité ainsi que des règlements pris pour son application, des actes uniformes et des décisions[1].
Sur ce, la compétence de la CCJA s’étend sur trois matières : en matière d’avis consultatif, en matière de cassation et en matière d’annulation.
Concernant la matière d’avis consultatif, la CCJA peut être consultée en interprétation par tout État Partie ou par le Conseil des ministres ou encore par toute juridiction nationale saisie pour régler un contentieux relatif à l’application des actes uniformes, en première instance ou en appel[2].
Pour ce qui est de la cassation, la CCJA peut être saisie par voie d’un recours en cassation contre les décisions rendues par les juridictions d’Appel ou non susceptibles d’appel, dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des actes uniformes et des règlements, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales[3].
Enfin, en matière d’annulation, lorsqu’une juridiction nationale statuant en cassation a méconnu la compétence de la CCJA, celle-ci peut être saisie par un recours en annulation et elle est compétente pour annuler la décision rendue par cette juridiction[4].
Le contexte de l’arrêt n° 027/2018 rendu le 08 février 2018
Dans le cas d’espèce, le litige ayant conduit à l’arrêt sous examen prend son origine dans un contrat de prêt conclu entre la BIBE et la Société Palace Hôtel le Président. Pour garantir cette créance, la Société Palace Hôtel le Président avait consentie, au profit de la BIBE, une hypothèque sur un immeuble.
Faute pour la Société Palace Hôtel le Président d’honorer ses engagements, la BIBE avait procédé à la clôture du compte et à la réalisation de la garantie en pratiquant une saisie immobilière, conformément à l’ AUPSRVE
.
L’affaire a été portée devant le Tribunal de première instance de Porto-Novo. Lors de l’instance, une exception d’inconstitutionnalité a été soulevé. Plutôt que de sursoir à statuer, le Tribunal avait rendu une décision en rejetant ladite exception.
Ce tribunal avait toutefois justifié sa décision par le fait que le droit applicable en matière de saisie immobilière, l’ AUPSRVE
, est un droit communautaire, supranational, et qu’aucune disposition de cet acte uniforme n’a prévu le sursis à l’adjudication du fait d’un recours en inconstitutionnalité.
Le Tribunal avait donc ordonné la continuation des poursuites et la transmission de la copie du dossier de la procédure à la Cour constitutionnelle pour être statué ce que de droit.
Saisie de l’exception d’inconstitutionnalité, la Cour constitutionnelle du Bénin a déclaré le jugement du Tribunal de première instance de Porto-Novo contraire à la Constitution car, lorsqu’une juridiction est saisie d’une telle exception, elle est tenue de surseoir à statuer jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle.
La Cour constitutionnelle du Bénin a légalement motivé en arguant que l’appréciation d’une exception d’inconstitutionnalité même contre une convention internationale ou un acte communautaire ne relève pas de la compétence du juge judiciaire. Le juge constitutionnel est seul compétent pour apprécier la pertinence de l’exception soulevée et au besoin de rappeler son incompétence en se fondant sur la primauté du droit communautaire sur le droit interne y compris la Constitution.
Se fondant sur l’ article 14 alinéas 3 et 4 du Traité, la BIBE s’est pourvue en cassation devant la CCJA contre ladite décision de la Cour constitutionnelle du Benin.
Le fondement de l’incompétence de la CCJA dans l’arrêt n° 027/2018
Comme relevé plus haut dans l’introduction, la CCJA s’est dit incompétente pour connaitre de la cassation de cette décision de la Cour constitutionnelle.
Sa motivation est simple :
« Les décisions des juridictions des États parties susceptibles d’être attaquées par la voie du recours en cassation sont celles rendues par les juridictions d’appel ou celles insusceptibles d’appel rendues par les juridictions du premier degré des États parties statuant légalement en premier et dernier ressort ; que contre les décisions rendues par les hautes juridictions nationales statuant en cassation, le législateur Ohada n’a prévu que le recours en annulation dans les conditions édictées par l’ article 18 dudit Traité ;
Attendu qu’en l’espèce, la décision dont pourvoi a été ainsi relevé sur le fondement de l’ article 14 alinéas 3 et 4 du Traité, a été rendue par la Cour constitutionnelle du Bénin, haute juridiction dont les décisions sont insusceptibles de recours ; qu’il échet dès lors de se déclarer incompétent pour connaitre dudit recours en cassation ».
Dans cette motivation, la CCJA a rappelé et recadré sa compétence en matières contentieuses. Conformément aux articles 14 et 18 du Traité, la CCJA n’est compétente que d’une part, en matière de cassation contre les décisions rendues par les juridictions d’appel ou celles insusceptibles d’appel. Et, d’autre part, en matière d’annulation contre les décisions rendues par les hautes juridictions nationales statuant en cassation. Rappelons que dans les deux cas la CCJA n’est compétente que si les juridictions concernées ont mal interprété ou appliqué le Traité ou un acte uniforme ou un règlement.
Dans l’arrêt en cause, la CCJA a été subtile en ajoutant un mot aux dispositions de l’ article 14 du Traité lorsqu’elle dit que les décisions susceptibles d’être attaquées par la voie du recours en cassation sont celles rendues par les juridictions […] statuant légalement[5] en premier et dernier ressort. La CCJA a sous-entendu ici que le Tribunal de première instance de Porto-Novo qui a rejeté l’exception d’inconstitutionnalité, aurait statué illégalement, en violation de la Constitution de la République du Bénin.
L’analyse de cette motivation permet de dire que la BIBE n’aurait pas dû saisir la CCJA en cassation puisque la décision rendue par la Cour constitutionnelle de Bénin n’entre pas dans le champ d’application de l’ article 14 du Traité. Il s’agissait plutôt d’une décision d’une haute juridiction.
Cette motivation de la CCJA nous semble incomplète puisque même dans ce cas, la décision rendue par la Cour constitutionnelle de Bénin n’était pas susceptible d’un recours en annulation puisqu’elle n’avait pas statué en cassation dans une matière où le Traité ou un acte uniforme ou un règlement a été mal interprété ou appliqué. Elle a plutôt été saisie de l’exception d’inconstitutionnalité, matière qui sort du champ de la compétence de la CCJA
De plus, même si la BIBE avait saisi la CCJA en annulation, son recours semble-t-il n’aurait pas abouti car ce tribunal avait statué en toute illégalité.
En définitive, il faut noter que contre les décisions rendues par les hautes juridictions nationales – dont les cours suprêmes, les cours de cassation, les cours constitutionnelles etc.-, le requérant doit saisir la CCJA en annulation et jamais en cassation.
Consulter l’arrêt n° 027/2018 du 08 février 2018
Par Maitre Trésor Ilunga Tshibamba
[1] article 14 alinéa 1 du Traité
[2] article 14 alinéa 2 du Traité
[3] article 14 alinéas 3 et 4 du Traité
[4] article 18 du Traité
[5] C’est nous qui soulignons