Commentaires sur la compétence des juridictions congolaises pour connaitre des infractions commises par les anciens Premier Ministres dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions
Par Strelly-Olivier Tshitenge M.
Avocat au Barreau de Kinshasa Matete
L’affaire Bukangalozo qui met en cause l’ancien Premier ministre Matata Ponyo défraie la chronique, beaucoup d’encre a coulé sur la question. Force est de constater que ce débat purement juridique est pollué par des considérations politiques. Bien que tout point de vue comporte un biais, sans avoir la prétention d’en être exempt, le raisonnement en droit exige à défaut d’objectivité parfaite, une rigueur permettant de trouver la solution durable et idoine aux questions qui se posent. Cette exigence voudrait que le juriste recourt par principe à des solutions qui sont à sa portée car comme le disait Sun Tzu dans l’art de la guerre, « il y a des cas où ce qui est au-dessus du bon n’est pas bon lui-même, c’en est ici un où plus on s’élève au-dessus du bon, plus on s’approche du pernicieux et du mauvais »[1].
En effet, en date du 15 novembre 2021, la Cour Constitutionnelle a rendu un arrêt dans lequel, elle s’est déclarée incompétente pour juger un ancien Premier ministre poursuivi pour des infractions de droit commun commises pendant qu’il était en fonction.
Pour une certaine opinion, cet arrêt consacre l’incompétence des juridictions congolaises pour connaître des infractions commises par un ancien Premier ministre devenu parlementaire, pour une autre, l’ancien Premier ministre sera poursuivi par le juge de sa qualité du moment des poursuites.
Au regard de ce qui précède, les questions suivantes méritent notre attention :
- Que couvrent les immunités des parlementaires ?
- Un ancien Premier Ministre devenu parlementaire, qui dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions de Premier Ministre aurait commis des infractions politiques ou de droit commun jouirait-il donc d’une impunité ?
Telle est la problématique que nous allons tenter d’éclaircir.
I. Que couvrent les immunités parlementaires
Dans cette partie, il sera question de savoir ce que l’on entend par immunités d’une part et la portée de leur implication sur le plan du droit.
I.1. Les immunités et leur portée
On qualifie d’immunité parlementaire, l’ensemble des dispositions qui assurent aux parlementaires un régime juridique dérogatoire au droit commun dans leurs rapports avec la justice afin de préserver leur indépendance[2].
Le souci de concilier la nécessaire protection de l’exercice du mandat parlementaire et le principe de l’égalité des citoyens devant la loi a conduit à distinguer deux catégories d’immunités : l’irresponsabilité et l’inviolabilité.
I.2. Les implications des immunités
L’irresponsabilité. Le siège de l’irresponsabilité des parlementaires en RDC sont les articles 107 alinéa 1 de la Constitution[3], 101 alinéa 1 du Règlement intérieur de l’assemblée nationale[4] et 217 alinéa 1 du Règlement intérieur du sénat[5]. Les deux derniers articles sont des copies de l’article 107 de la constitution qui dispose : « Aucun parlementaire ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».
L’irresponsabilité couvre tous les actes de la fonction parlementaire : interventions et votes, propositions de loi, amendements, rapports ou avis, questions, actes accomplis dans le cadre d’une mission confiée par les instances parlementaires. Elle protège les parlementaires contre toute action judiciaire, pénale ou civile, motivée par des actes qui, accomplis hors du cadre d’un mandat parlementaire, seraient pénalement sanctionnables ou susceptibles d’engager la responsabilité civile de leur auteur (diffamation ou injure par exemple)[6].
Dans son domaine d’application, l’irresponsabilité a un caractère absolu, car aucune procédure ne permet de la lever. Elle est permanente, car elle s’applique toute l’année y compris pendant les vacances parlementaires. Elle est perpétuelle et s’oppose aux poursuites motivées par les actes accomplis durant le mandat, même après la fin de celui-ci. Cette irresponsabilité est un moyen d’ordre public ; aussi le parlementaire ne peut-il y renoncer.
L’inviolabilité. L’inviolabilité tend à éviter que l’exercice du mandat parlementaire ne soit entravé par certaines actions pénales visant des actes accomplis par les députés en tant que simples citoyens ou avant l’acquisition de la qualité de parlementaire. Elle réglemente les conditions dans lesquelles s’exerce l’action pénale pour les actes étrangers à sa fonction.
Le siège de la matière en droit congolais se trouve aux articles 107 alinéas 2, 3, 4 de la Constitution, 101 alinéas 2, 3, 4 du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale et 217 alinéas 2, 3 et 4 du Règlement intérieur du Sénat. Les articles sont libellés comme suit :
« Aucun parlementaire ne peut, en cours de sessions, être poursuivi ou arrêté, sauf en cas de flagrant délit, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du Sénat selon le cas.
En dehors de sessions, aucun parlementaire ne peut être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale ou du Bureau du Sénat, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive.
La détention ou la poursuite d’un parlementaire est suspendue si la Chambre dont il est membre le requiert. La suspension ne peut excéder la durée de la session en cours ».
Contrairement à l’irresponsabilité dont les effets ne sont pas limités dans le temps, l’inviolabilité a une portée réduite à la durée du mandat.
II. De la juridiction compétente pour juger un ancien Premier Ministre devenu parlementaire
En RDC, le juge naturel des parlementaires (Articles 153 de la Constitution et 93 de la loi Organique sur les juridictions de l’ordre judiciaire[7]) est la Cour de Cassation en premier et dernier ressort, sauf s’ils sont complices ou coauteurs des infractions commises par le Président de la République ou du Premier Ministre suivant l’article 164 de la Constitution de la RDC.
Peut-on à juste titre affirmer qu’un ancien Premier Ministre devenu par la suite parlementaire jouit d’une impunité totale quant aux infractions politiques ou de droit commun qu’il aurait commises dans l’exercice de ses fonctions ?
La Réponse est non.
Les articles 153 et 93 cités plus haut disposent :
« … Dans les conditions fixées par la Constitution et les lois de la République, la Cour de cassation connaît en premier et dernier ressort des infractions commises par : 1. les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat ; ».
Cette disposition est limpide, l’idée du constituant et celle du législateur est celle de ne pas faire du parlement un asile pour échapper aux poursuites judiciaires. Bien plus, la compréhension de cette disposition ne limite pas la compétence de la Cour de cassation qu’aux infractions commises par les parlementaires pendant leur mandat. Ceci dit, tout parlementaire est de jure justiciable devant la Cour de Cassation qu’il s’agisse des infractions commises avant ou pendant le mandat parlementaire. Cette position se trouve confortée par la Cour de cassation alors Cour suprême de justice dans son arrêt du 23 décembre 1986 rendu sous R.P.A. 121[8] consacrant la qualité au moment des poursuites comme facteur qui détermine de la juridiction compétente, dont un extrait de sa motivation dit : « Le but du privilège étant d’éviter que le juge saisi ne soit influencé par les fonctions du prévenu, c’est sa qualité́ au moment des poursuites qui détermine le juge compétent. Est ainsi justiciable de la cour d’appel le prévenu qui au moment de la commission des faits était chef de Division et qui, au moment des poursuites, était devenu directeur ».
Conclusion
A la lumière de ce qui a été développé supra, nous nous inscrivons en faux contre la logique selon laquelle il y aurait un vide juridique quant à la répression des infractions commises par un Premier ministre dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, qui devient membre du parlement. Car tout individu a un juge naturel. La compétence de la juridiction est déterminée par la qualité au moment des poursuites c’est ainsi qu’un ancien Premier ministre peut être poursuivi par le juge naturel des parlementaires si par après il devenait parlementaire ou par le juge naturel de la position qu’il occupe au moment des poursuites.
[1] Sun Tzu, l’art de la guerre, lu sur http://lartetlavoie.free.fr/shun%20tzu%20-%20art%20de%20la%20guerre.pdf, le 17 novembre 2021
[2] L’Assemblée nationale dans les institutions françaises, Fiches de synthèse, Paris, Novembre 2012, 4e édition, p. 105
[3] Constitution de la République démocratique du Congo modifiée et complétée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février, in JORDC, Kinshasa, Numéro spécial du 05 février 2011, 52ème Année
[4] Règlement intérieur de l’Assemblée nationale de la RDC pour la 3ème Législature, Mars 2019, Kinshasa, Lingwala
[5] Règlement intérieur du Sénat de la RDC pour la 3ème législature, 16 Septembre 2019, Kinshasa, Lingwala
[6] L’Assemblée nationale dans les institutions françaises, Fiches de synthèse, Paris, Novembre 2012, 4e édition, p. 105
[7] Loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire
[8] Cour suprême de justice, arrêt RPA 121, du 23 décembre 1986, Aff. Kitaba et Endungu/MP et succession Mwinyi, publié par Katwala Kaba Kashala, Arrêts de principe et autres principales décisions de la Cour suprême de justice, éd. Batena Ntambua, Kinshasa, 2009, p. 264
Un article très interessant