Problématique
Le libre accès au prétoire est une liberté publique en droit. Il est une garantie reconnue à toute personne dont l’existence juridique est établie.
La personnalité juridique au sens large est, selon Sohier, l’aptitude conférée par la loi à un être physique ou moral d’avoir des droits et obligations propres ; au sens étroit, la plus usuelle, elle vise uniquement l’aptitude juridique reconnue aux êtres moraux[1].
Les [personnes morales] qui sont sujets de droit ont l’aptitude à posséder des droits, à s’engager et exercer lesdits droits dans les limites légales et statutaires à observer. Elles ont donc la pleine capacité de jouissance et d’exercice[2]. Leurs capacités varient selon la nature de leur objet et les limitations légales propres auxquelles elles sont soumises.
En Droit de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, – Ohada -, la personnalité juridique d’une société commerciale s’acquière par l’immatriculation au registre de commerce et du crédit mobilier, – RCCM –, sur pied de l’ article 98 de l’Acte Uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, – AUDSCGIE –. Cette immatriculation confère à la société en cause la capacité d’agir en justice.
D’autre part, l’ article 3 du même acte uniforme, permet aux sociétés étrangères d’exercer des activités dans les États membres de l’Ohada. Il faut entendre par « société étrangère », tout ressortissant d’un État qui n’est pas partie au Traité de l’Ohada ; elle n’est donc pas immatriculée sur le territoire d’un État partie[3]. Pour ces sociétés étrangères, l’appréciation de leur capacité à agir en justice est naturellement différente devant les juridictions nationales et devrait l’être tout autant, à notre avis, devant la Cour commune de justice et d’arbitrage, – CCJA –.
En effet, la nationalité des sociétés a des répercussions profondes en droit car sa détermination précède toujours la résolution d’un problème de droit s’agissant notamment de la loi applicable à ladite société et de sa capacité à agir. Chaque fois qu’une société prétend être sujet de droit, cette personnification ne peut lui être reconnue qu’après vérification de la régularité de sa constitution.
La nationalité d’une société doit être prise en considération pour la reconnaissance de la personnalité morale de la société, mais également pour déterminer l’étendue de la jouissance de ses droits.
En outre, le rattachement juridique d’une société à un État est indispensable et conditionne les droits et les obligations dont la société en cause peut jouir. Autrement dit, la nationalité détermine le statut juridique de la société c’est-à-dire la loi applicable. Ainsi, pour déterminer si une société est nationale ou étrangère, il faut se référer au critère retenu par l’État sur lequel est établie la société [ou dans lequel elle exerce des activités][4].
Ainsi, suivant les conceptions classiques du droit international privé, la loi applicable aux sociétés est celle de leur siège social[5].
Dans cette brève analyse, nous aborderons la notion sur les sociétés étrangères en droit de l’Ohada (I) avant de toucher la question relative à leur capacité (II) et enfin conclure sur l’attitude que devrait avoir la CCJA pour apprécier la capacité des sociétés étrangères (III).
I. Les sociétés étrangères dans l’espace Ohada
Les sociétés étrangères ont la possibilité d’exercer légalement leurs activités dans les États membres de l’Ohada. Le droit Ohada admet la personnalité juridique des sociétés étrangères et leur reconnait des droits.
A cet effet, l’ article 3 de l’AUDSCGIE dispose : « Toutes personnes, quelles que soit leur nationalité, désirant exercer en société, une activité commerciale sur le territoire de l’un des États parties, doivent choisir l’une des formes de sociétés qui convient à l’activité envisagé, parmi celles prévues par le présent Acte Uniforme ».
Cet article consent implicitement à ce que les [sociétés étrangères] « exerce en société » c’est-à-dire avoir la qualité d’associés dans les sociétés qu’ils créent ou ils participent avec des nationaux[6].
De l’analyse de l’Acte uniforme en général et de cette disposition en particulier, il ressort qu’une société commerciale dont le siège social est situé à l’étranger ne peut opérer dans un pays membre de l’Ohada, que soit en y implantant une succursale, soit par le moyen d’une filiale.
Par ailleurs, quoique devant être immatriculée au RCCM, la succursale est dépourvue de la personnalité juridique. Contrairement à elle, la filiale est immatriculée au RCCM en tant que véritable société, et se distingue par son indépendance juridique complète de la société mère[7].
Ainsi, comment apprécier la capacité de la société mère d’agir en justice en son nom propre, en tierce opposition par exemple ? ou encore, comment examiner la capacité d’une société étrangère en relation contractuelle avec une autre société de droit Ohada et qui voudrait assigner cette dernière ?
II. De la capacité des sociétés étrangères
Conformément à l’ article 98 AUSDCGIE, « toute société jouit de la personnalité juridique à compter de son immatriculation au registre du commerce et du crédit mobilier […]». Dès lors, faute d’être immatriculée, une société est dépourvue de personnalité juridique. Elle n’est donc pas apte à saisir une juridiction pour faire valoir ses moyens et prétentions. Son action doit donc être déclarée irrecevable.
Il est évident que cette disposition vaut avant tout pour les sociétés ayant leur siège social dans l’espace communautaire de l’Ohada et qui ont l’obligation de s’immatriculer au RCCM. Mais le principe de l’immatriculation à un registre de commerce demeure valable même pour les sociétés étrangères.
En effet, le Droit de l’Ohada des sociétés tel qu’il est donné par l’ AUDSCGIE , ne règlemente pas la capacité des [sociétés étrangères], et à fortiori, ne consacre pas des limites à cette capacité en matière d’acquisition de la qualité d’associé dans les pays parties à l’Ohada[8].
Il faut relever ici que s’agissant des questions n’ayant pas donné lieu à des règles uniformes, soit parce que qu’il n’y a pas d’acte uniforme, soit parce qu’un tel acte existe, mais est incomplet, relèvent du droit national et de l’ordre public interne et international d’un État partie[9].
Cette affirmation corrobore parfaitement avec les dispositions de l’article 1e alinéa 3 AUDSCGIE selon lesquelles : « les sociétés commerciales et les groupements d’intérêt économique demeurent soumis aux lois non contraires au présent Acte uniforme qui sont applicables dans l’État partie où il se situe leur siège social. ». Cette question de la capacité des sociétés étrangères, n’[étant] pas traité par l’AUDSCGIE, par permission du droit Ohada, le droit national trouve son application[10].
En principe, les sociétés étrangères établies ou qui exercent des activités dans un État membre de l’Ohada sont reconnues et jouissent des mêmes droits que les sociétés nationales de l’État sur lequel elles sont établies, sauf textes particuliers contraires.
Une fois reconnues par le droit national d’un État de l’Ohada, les sociétés étrangères sont en principe aptes à jouir des mêmes droits que les sociétés nationales dans les limites de la capacité qui leur est accordée par la lex societatis et suivant les règles de fonctionnement de cette loi.
En effet, la recherche de la loi applicable à la société, lex societatis, est incontournable car c’est de cette loi dont dépendront les règles de constitution, de fonctionnement et de dissolution de la société. La détermination de la lex societatis prend son importance dans l’identification d’un mode adéquat de rattachement des sociétés transfrontalières à un territoire national.
Ainsi dit, une société étrangère qui s’immisce dans une activité réglementée en République démocratique du Congo – RDC –, cette dernière applique de règles discriminatoires ou de loi de police. Dans ce cas de figure, il s’agit de passer outre le rattachement de la société pour permettre justement à l’État d’appliquer ses dispositions impératives par le mécanisme des lois de police.
En RDC, une fois déterminée la nationalité d’une société suivant les critères retenus, sa reconnaissance et sa capacité juridique ne pourront être admises que si une telle société constituée à l’étranger produit ses statuts et ses actes d’immatriculation en forme authentique.
La preuve de l’authenticité des statuts et des actes d’immatriculation d’une société étrangère passés dans un pays étranger doit être attestée par leur légalisation par une autorité exerçant dans ledit pays, désignée par le ministre des Affaires étrangères conformément à l’ article 20 de l’Ordonnance – loi n° 66-344 du 9 juin 1966 portant Actes notariés qui stipule, in fine, que « les actes passés à l’étranger ont sur le territoire du Congo, la même force probante que dans les pays où ils ont été dressés. La preuve de leur authenticité résultera notamment de la légalisation effectuée par les autorités désignées par le ministre des Affaires étrangères ».
A ce propos, il a été jugé par la Cour de cassation que la preuve de l’existence d’une société étrangère résultera notamment de la légalisation des actes des sociétés effectuée par les autorités désignées par le ministre des Affaires étrangères[11].
La jurisprudence constante en la matière enseigne que les statuts d’une société commerciale pour être retenus comme preuves des clauses y contenues ne peuvent être produits en copie libre mais uniquement en forme authentique[12].
Dès lors, quelle attitude devrait adopter la CCJA face aux sociétés étrangères, notamment celle qui exercent en RDC ?
III. Quelle attitude la CCJA devrait-elle adopté pour apprécier la capacité d’une société étrangère ?
L’acte uniforme n’ayant pas réglé la question de la capacité des sociétés étrangères, il en découle que la reconnaissance par la CCJA de la personnalité juridique de ces sociétés résulte en effet d’une concession de l’autorité publique de l’État de l’espace Ohada sur lequel la société étrangère est établie [ou exerce ses activités][13].
Pour ester devant la CCJA, les sociétés commerciales ayant leur siège légal en pays étranger, c’est-à-dire en dehors de l’espace Ohada, doivent avoir été « constituées légalement » dans leur pays d’origine. Il incombe dès lors à cette société étrangère de prouver qu’elle a été régulièrement créée dans son pays d’origine et suivant la législation de ce dernier, qu’elle a la personnalité juridique et qu’elle a la capacité juridique lui permettant d’acquérir des droits subjectifs, de s’engager et d’ester en justice[14].
Par ailleurs, pour apprécier l’authenticité des actes de société et établir la capacité d’une société étrangère, la CCJA devrait alors se référer à la législation de l’État membre où ladite société exerce ses activités car, rappelons-le, l’ AUDSCGIE ne règlemente pas la capacité des sociétés étrangère ni ne consacre des limites à cette capacité. C’est donc par permission du droit Ohada que le droit national trouve son application.
La
question de la
capacité est d’ordre public. La sauvegarde de cet ordre public relève des
juridictions nationales, mais aussi de l’office de la CCJA[15].
La conséquence serait alors l’irrecevabilité de toute action
intentée par une société étrangère qui ne prouverait pas son existence conformément au
droit de l’État partie, et dans le cas d’une société étrangère exerçant en RDC,
lorsque celle-ci ne produit pas ses statuts en forme authentique.
[1] Cité par Michel NZINGI Batutu, Les fins de non – recevoir en droit judiciaire privé congolais, CDPS, Kinshasa, p. 7
[2] Lukombe Nghenda, Droit Ohada des sociétés en application en RDC, Volume III : Constitution des sociétés commerciales, PFDUC, Kinshasa, 2018, p. 27
[3] Issa-Sayegh et Alïis, Ohada : Traités et Actes uniformes – commentés et annotés, Ed. Juriscope, 2016, p. 420
[4] Abdou Assane Zeinabou, « La nationalité des sociétés dans les pays de l’espace OHADA : les cas du Niger, du Sénégal et de la RD Congo », Revue CAMES/SJP, n°001/2016, p. 1-24.
[5] Paul-Gérard POUGOUE et AlIis, Encyclopedie du droit Ohada, Lamy, Décembre 2011, p. 221
[6] Lukombe Nghenda, Op. cit., p. 33
[7] Ordonnance de référé n° 065, Société générale Wietc company ltd c/ la Société Braël-Congo sarl, Tribunal de commerce de Brazzaville • Ordonnance du 28/10/2011, Ohadata J-13-11
[8] Lukombe Nghenda, Op. cit., p. 33
[9] Paul-Gérard Pougoue et AlIis, Op. cit, p. 239
[10] Lukombe Nghenda, Op. cit., p. 33
[11] CSJ, RC 389, 20 mars 1985, in Kalongo Mbikayi, Code civil et commercial congolais, CRDJ, Kinshasa, 1997, p.347, cité par Odon Nsumbu Kabu, Cour Suprême de Justice : Héritage de demi-siècle de jurisprudence, Les Analyses Juridiques, Kinshasa, 2015, p. 776
[12] CSJ, RP.33 ,21 janvier 1971, Aff. Société Difco C/MP, RJZ 1972, page 27-31, cité par Odon Nsumbu Kabu, Cour Suprême de Justice : Héritage de demi-siècle de jurisprudence, Les Analyses Juridiques, Kinshasa, 2015, p. 840
[13] Abdou Assane Zeinabou, Op. cit, p. 1-24
[14] Lukombe Nghenda, Droit congolais des sociétés, Tome I, PUC Kinshasa, 1999, p. 163
[15] Paul-Gérard POUGOUE et AlIis, Op. cit, p. 239
Cette analyse est critique et très fouillé. C’est super. en plus la navigation est fluide