Blanchiment de capitaux et lutte contre le financement du terrorisme en RDC •
pour une amélioration législative ?
Par Merveille Ketikila Kani Matondo
Juriste compliance Tax and Legal Université Libre de Bruxelles
Université Catholique du Congo
Introduction
Quoi de mieux que le marché financier congolais pour confirmer que l’intégrité du marché financier d’une nation est un gage de confiance pour les institutions financières externes, les entreprises clientes en interne et pour les probables investisseurs étrangers.
Le secteur bancaire congolais fait face au phénomène de risking – lequel est susceptible d’isoler sur le plan économique et financier, la République Démocratique du Congo en raison du non-respect des normes en matière de conformité, particulièrement dans le domaine de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme[1].
Le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme demeurent les pires fléaux mettant en péril les systèmes économiques et financiers des pays et menaçant la sécurité internationale par la multiplication des actes terroristes dans diverses parties du monde[2].
Cette situation est bien plus réelle en RD Congo à la suite des différents scandales qui éclaboussent le monde économique et financier congolais alors que son champ financier s’étend davantage avec la libéralisation du secteur des assurances en 2015[3]. D’où la nécessité pour les Etats de disposer de normes juridiques et d’institutions de contrôle pour éradiquer ces calamités de leur environnement financier.
La législation congolaise en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme est constituée de normes internationales et nationales.
Au niveau international, il existe des instruments juridiques qui formulent des recommandations pour impulser une lutte commune et impérativement coordonnée face à cette criminalité sans frontière. Il s’agit notamment du Groupe d’Action Financière sur le Blanchiment de Capitaux (GAFI), de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
En outre, la RDC est membre associé du Groupe d’Action contre le Blanchiment de l’Afrique Centrale depuis le 05 Septembre 2017 (GABAC régie par l’Acte additionnel du 14 décembre 2000) qui est un organe spécialisé de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (régie par le Règlement n°01/03 CEMAC-UMAC).
De plus, la RDC est également membre observateur du Groupe d’Action contre la Blanchiment de l’Afrique Centrale.
Au niveau national, en revanche, la Loi n° 04/016 du 19 juillet 2004 sur la lutte contre le blanchiment de capitaux le financement du terrorisme disposent des normes, des obligations pour éviter l’expansion de cette calamité et éradiquer ces fléaux.
Nous avons également l’Instruction 15 de la Banque centrale de la RDC fixant les normes relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme dans le secteur financier en RDC.
La loi du 19 juillet 2004 a créé la Cellule Nationale des Renseignements Financiers « CENAREF » mise en place par le Décret n° 08/20 du 24 septembre 2008 portant organisation et fonctionnement de la CENAREF.
Aux côtés de ces deux textes juridiques, il existe le Décret n° 08/21 du 24 septembre 2008 portant création du Comité Consultatif de Lutte contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme, COLUB en sigle.
Le décret n° 16/001 du 26 janvier 2016, portant création, organisation et fonctionnement de l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances (ARCA en sigle) par son article 6
exige le respect de la législation portant la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme aux sociétés soumises à son contrôle. Il en est de même pour la Charte de conformité de l’Association Congolaise des Banques adoptée le 28 septembre 2018.
L’existence et la disposition des règles juridiques sont une chose, en sont une autre leur application et leur mise à jour.
Titre I. Analyse du dispositif
I. Champ d’application
I.1. Les activités concernées
Face à un acte financier, il faudra s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un acte constitutif de l’infraction de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
L’ article 1er
de la Loi du 19 juillet 2004 présente l’infraction de blanchiment de capitaux comme suit : « Au sens de la présente loi, sont considérés comme constitutifs de l’infraction de blanchiment de capitaux, les actes ci-dessous, commis intentionnellement, à savoir :
1°. la conversion, le transfert ou la manipulation des biens dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la commission de l’infraction principale à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ;
2°. la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réels des biens ;
3°. l’acquisition, la détention ou l’utilisation des biens par une personne qui sait, qui suspecte ou qui aurait dû savoir que lesdits biens constituent un produit d’une infraction.
La connaissance, l’intention, ou la motivation nécessaires en tant qu’élément de l’infraction peuvent être déduites des circonstances factuelles objectives ».
Alors qu’à l’ article 2
, « constitue l’infraction de financement du terrorisme le fait d’une part, de fournir, de collecter, de réunir ou de gérer par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, des fonds, des valeurs ou des biens dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie, en vue de commettre un acte de terrorisme indépendamment de la survenance d’un tel acte ».
En nous fondant sur le prescrit de l’ article 3
, 1°, 5°, nous pouvons affirmer que le blanchiment de capitaux, contrairement au financement du terrorisme, est une infraction de conséquence qui suppose la préexistence d’une ou des infractions originaires. L’objectif recherché est de dissimuler la provenance de tous types d’avoirs, corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, tangibles ou intangibles, fongibles ou non fongibles ainsi que d’actes juridiques ou documents attestant la propriété de ces avoirs ou des droits y relatifs, y compris sous forme électronique ou numérique d’origine illicite, de les réinjecter dans l’économie autorisée afin de les rendre licites. Le lieu de l’infraction donnant naissance à l’acte de blanchiment de capitaux n’a aucune importance, que ce soit sur le territoire national ou à l’étranger.
I.2. Les personnes concernées
L’ article 4 de la Loi annonce qu’elle « s’applique à toute personne physique ou morale qui, dans le cadre de sa profession, réalise, contrôle ou conseille des opérations entraînant des dépôts, des échanges, des placements, des conversions ou tous autres mouvements de capitaux, et en particulier :
- à la Banque Centrale du Congo ;
- aux établissements de crédit, messageries financières, compagnies financières, institutions de micro finance, bureaux de change, entreprises d’assurance, intermédiaires en assurance ou réassurance, entreprises de leasing et autres intermédiaires financiers ;
- aux services comptes chèques et mandats postaux ;
- aux bourses de valeurs mobilières, sociétés de bourses, intermédiaires en opérations de bourse, sociétés de gestion du patrimoine, entreprises offrant des services d’investissement et organismes de placement collectif en valeurs mobilières ;
- aux sociétés de loteries ;
- aux gérants, propriétaires et directeurs des casinos ;
- aux notaires ;
- Aux membres des professions juridiques indépendantes, notamment les avocats, lorsqu’ils conseillent ou assistent des clients ou lorsqu’ils agissent en leurs noms et pour leurs comptes dans l’achat et/ou la vente de biens, d’entreprises ou de fonds de commerce, de titres ou d’autres actifs, la manipulation d’actifs, lors de l’ouverture des comptes bancaires, la constitution, la gestion ou la direction des sociétés, des fiducies ou de structures similaires, ou de toutes autres opérations financières ;
- aux agents immobiliers et autres conseillers en opérations immobilières ;
- aux transporteurs de fonds ;
- aux agences de voyage ;
- aux commissaires aux comptes, experts comptables, auditeurs externes et conseillers fiscaux;
- aux marchands d’œuvres d’art, d’antiquités et/ou de matières précieuses ».
Cet article crée deux catégories d’assujettis. La première catégorie concerne quiconque, personne physique ou personne morale, qui, dans le cadre de sa profession, réalise, contrôle ou conseille des opérations sus évoquées liées aux capitaux.
S’agissant des assujettis visés légalement, il s’agit de treize professions précisément citées qui constituent la deuxième catégorie.
Par ailleurs, le dernier alinéa de l’article présent étend le champ d’application à toute profession ou catégorie d’entreprises lorsqu’il est constaté que cette profession ou catégorie d’entreprises réalise, contrôle ou conseille les mêmes types d’opérations précisées au paragraphe premier du présent article.
Quiconque peut donc être assujetti soit par son objet social ou sa profession, soit par l’opération ou les opérations couvertes par l’ article 4
.
II. Prévention et Détection du blanchiment
II.1. Prévention du blanchiment de capitaux
La somme égale ou supérieure à 10 000 dollars américains est le seuil de prévention du blanchiment de capitaux fixé par le législateur congolais. Les articles 5 et 6
de la Loi conditionnent l’acquittement, le transfert vers l’étranger ou en provenance de l’étranger de cette somme par un établissement de crédit ou son intermédiaire.
Cependant, il a été observé que lors des paiements à leurs guichets, les banques ne respectent pas strictement les dispositions des articles 5, 6
et 11
de la Loi n°04/016 du 19 juillet 2004 sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, celles de l’ article 5
de la réglementation du change en vigueur en RDC, ainsi que celles des articles 2
et 4
de l’Instruction 15 bis modification n° 3 en vigueur, relative à la dérogation aux dispositions légales interdisant tout paiement en espèces ou par titre au porteur d’une somme en francs congolais ou autre égale ou supérieure USD 10.000[4].
Toutefois, pour ce qui concerne les opérateurs économiques ayant leur numéro de registre de commerce et de crédit mobilier (RCCM), les tenanciers des comptoirs d’achat de matières précieuses et leurs collaborateurs, pour les opérateurs agricoles et pour leurs employeurs, l’Instruction 15 bis (modification 2) de la Banque centrale du Congo détermine les cas et les conditions qui peuvent déroger au principe (cette dérogation concerne le règlement en espèces des transactions réalisées par les personnes aussi bien physiques que morales régulièrement établies dans les zones desservies ou non par les établissements de crédit et y opérant en toute légalité)[5].
Aussi, pour assurer une transparence dans les opérations financières, l’Etat se dote des moyens de lutte juridiques ne permettant pas la constitution d’entités fictives ou de façade.
Ainsi, les assujettis sont tenus à certaines obligations afin de prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il s’agit de l’exécution de devoir de vigilance et de l’organisation interne du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme.
II.1.1. Vérification et identification du client : Vigilance
A. Identification du client
La vérification et l’identification se font par la présentation des documents officiels relatifs à l’identité du client, de ses éventuels mandataires et du bénéficiaire effectif du client.
Si le client est une personne physique, le document officiel est la pièce d’identité. En RDC, étant donné que nous ne disposons plus de pièce d’identité, la carte d’électeur ou au mieux le passeport peut faire preuve. La constatation et le contrôle de l’identité du client porteront donc sur le nom, le prénom, la date de naissance, le lieu de naissance et, si possible, l’adresse.
Cependant, si c’est une personne morale, la production des statuts et de tout document prouvant la constitution légale et l’existence réelle sont à délivrer. L’identification et la vérification de l’identité porteront sur la dénomination sociale, le siège social, les administrateurs et la connaissance des dispositions régissant le pouvoir d’engager la personne morale[6].
Pour l’établissement de crédit, par exemple, l’identification et la vérification de l’identité se font lorsque le client veut ouvrir un compte ou livret, de prendre en garde des titres, valeurs ou bons, d’attribuer un coffre ou d’établir toutes autres relations d’affaires. Par cet article 8
de la Loi, nous pouvons déduire qu’il s’agit de l’identification d’un client habituel.
Etant donné que les fiscalistes et les experts-comptables sont des assujettis, nous osons affirmer qu’au moment de nouer un engagement d’affaires (par une lettre d’engagement pour une relation d’affaires durable), comme par exemple au moment de l’acceptation de la mission de tenir la comptabilité des clients ou de remplir périodiquement leur déclaration fiscale, ces professionnels doivent procéder à leur identification.
Le client occasionnel, par l’ article 9
, doit aussi être identifié. Il s’agit d’une personne, qui n’est pas un client habituel, souhaite réaliser une ou plusieurs opérations portant sur une somme supérieure ou égale à 10.000 dollars.
Le vade mecum de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme explicite les moyens de vérifications obligatoires pour les clients occasionnels en ce terme :
- vérifications analogues à celles exigées pour la personne physique pour toute transaction égale ou supérieure à USD 10.000,00 ;
- identification requise même si le montant est inférieur au seuil fixé, lorsque la provenance licite des capitaux n’est pas certaine ;
- identification requise en cas de répétition d’opérations distinctes, effectuées dans des périodes rapprochées et pour des montants inférieurs au seuil fixé par opérations.
La Loi dans son article 10
précise que dans le cas où l’établissement de crédit n’est pas certain que le client agît pour son propre compte, il a l’obligation de se renseigner par tout moyen sur l’identité véritable de l’ayant droit économique. Cependant, le législateur ne cite pas, n’indique pas comment procéder à la vérification de l’identité véritable.
Le législateur ne donnant pas les moyens, nous pouvons nous permettre de citer pour les personnes physiques les réseaux sociaux privés (Facebook, Instagram, etc.), professionnels (LinkedIn), des sites de recherche (google par exemple), etc.
Toutefois, les praticiens se réfère à l’ article 8
pour procéder à la vérification de l’identité qui est opérée par la présentation d’un document officiel original en cours de validité et comportant une photographie, dont il est pris copie. La vérification de l’adresse est effectuée par la présentation de tout document de nature à en faire la preuve. Quant aux moyens, ils affirment que seule une source sure et vérifiable peut être considérée.
Et pour les personnes morales, l’assujetti peut se référer au Guichet Unique de création d’entreprises ou au Journal Officiel pour avoir accès aux copies des statuts, extraits d’actes de société y publiés. Il s’agit en fait de l’utilisation de tous les moyens dont l’assujetti peut raisonnablement disposer, en droit comme en fait, pour vérifier les données d’identité.
Et cette identification est requise même si le montant de l’opération est inférieur à 10 000 dollars, lorsque la provenance licite des capitaux n’est pas certaine. Le renseignement est obligatoire sur l’origine et la destination des fonds ainsi que sur l’objet de l’opération et l’identité des acteurs économiques de l’opération.
En cas d’incertitude, le doute persistant oblige l’assujetti à appliquer la vigilance en faisant une déclaration des soupçons. Il s’agit de client suspect.
B. Identification du bénéficiaire effectif
Quant aux responsables, employés et mandataires appelés à entrer en relation pour le compte d’autrui, ils doivent fournir non seulement leur pièce d’identité en tant que personnes physiques mais également les documents attestant d’une part, de la délégation des pouvoirs qui leur est reconnue et d’autre part, de l’identité et de l’adresse des ayants droits économiques.
C’est pourquoi les assujettis doivent disposer des informations nécessaires pour comprendre la propriété et la structure de contrôle de ces personnes morales et structures juridiques ne disposant pas de la personnalité morale et déterminer les personnes physiques qui, in fine, les possèdent ou les contrôlent[7].
Par l’ article 8
au quatrième alinéa de la Loi, nous comprenons que l’assujetti doit étendre l’identification au bénéficiaire effectif qui peut être une personne morale ou physique tandis que les personnes appelées à entrer en relation pour le compte d’autrui demeure des personnes physiques. Et l’assujetti examine les mêmes données citées supra pour l’identification.
Si le client dans ce cadre de l’assujetti est un avocat, un expert-comptable public ou privé, une personne ayant une délégation d’autorité publique voire même un mandataire intervenant en tant qu’intermédiaire financier, il ne pourra pas invoquer le secret professionnel.
Par ailleurs, lorsque l’assujetti ne peut accomplir son devoir de vigilance car le doute persiste sur l’identité du bénéficiaire effectif, il ne peut maintenir cette relation d’affaires avec le client. Il ne va pas procéder à l’exécution de l’opération. Et le cas échéant, sans préjudice, l’assujetti doit informer la CENAREF en faisant une déclaration de soupçon.
C. Conservation des données, documents probants
La vigilance veut aussi qu’après l’identification du client, de son ou ses mandataires et du ou des bénéficiaires effectifs (nous pouvons y ajouter), l’assujetti doit effectuer la conservation des données de l’identification et des documents probants pendant une période donnée.
C’est pourquoi, en RDC, l’établissement de crédit a l‘obligation de conserver et de tenir à la disposition des autorités requises des documents relatifs à l’identité du client pendant 10 ans après la clôture des comptes ou la cessation des relations avec le client et les documents relatifs aux opérations effectuées par les clients et les rapports après l’exécution de l’opération portant sur une somme supérieure ou égale à 10 000 dollars américains, effectuée dans des conditions de complexité inhabituelles ou injustifiées.
II.1.2. Dispositif de prévention : obligation de la mise en place d’un contrôle interne et de la formation du personnel
En interne, il est demandé aux établissements de crédit de mettre en place une organisation interne du bureau avec pour but de centraliser les informations sur l’identité des clients, de donneurs d’ordre, bénéficiaires et titulaires de procuration, mandataires, ayants droits économiques, et sur les transactions suspectes.
Le législateur prévoit aussi la désignation des responsables de l’unité de lutte contre le blanchiment de capitaux (dans la pratique, on trouve cette fonction « compliance officer », « conformité », etc.) auprès du siège ou de la direction centrale, de chaque succursale, et de chaque agence ou service local.
Ce département doit disposer également de contrôleurs internes, en cas de besoin, pour l’exécution et l’efficacité des mesures adoptées pour l’application de la présente Loi.
Cette organisation a pour but de développer des procédures de contrôle interne, sensibiliser continuellement du personnel à la lutte contre le blanchiment de capitaux. Son responsable est un correspondant de la CENAREF[8].
Cette mission consiste à la participation des employés à des formations spéciales pour cerner et reconnaitre les opérations liées au blanchiment de capitaux.
La formation et la sensibilisation des membres du personnel des assujettis constituent une obligation qui leur incombe[9].
Il est donc impérieux, dans le cadre de leur profession, que les cabinets d’audit et fiscaliste désignent aussi des « personnes championnes » pour veiller au respect des normes pour la lutte contre le blanchiment de capitaux.
II.2. Détection du blanchiment
Nous évoquions précédemment des autorités requises pour lesquelles l’assujetti est obligé de conserver et de tenir des documents pendant 10 ans et auprès desquelles l’assujetti doit déposer une déclaration des soupçons.
II.2.1. Cellule des Renseignements Financiers
Le recueillement et le traitement des renseignements financiers sur les circuits de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme sont confiés à la Cellule des Renseignements Financiers.
La Loi par son article 17
la dote d’une autonomie financière, d’un pouvoir de décision propre et la place sous la tutelle du Ministère des Finances. Elle précise que la Cellule est créée et organisée dans les conditions fixées par un décret présidentiel. Et l’organisation du Service, les conditions de nature à assurer ou à renforcer l’indépendance de la Cellule, ainsi que le contenu et les modalités de transmission des déclarations qui lui sont adressées sont fixés par Décret du Président de la République.
Par un Décret n° 08/20 du 24 septembre 2008 portant organisation et fonctionnement d’une Cellule Nationale des Renseignements Financiers, CENAREF en sigle, cette autorité requise est chargée notamment de recevoir, analyser et traiter les déclarations auxquelles sont tenues les personnes et organismes visés à l’ article 4
de la Loi du 19 juillet 2004, de recevoir aussi toutes autres informations utiles, notamment celles communiquées par les autorités judiciaires, faire poursuivre, le cas échéant, les personnes présumées coupables de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, élaborer des rapports trimestriels sur ses activités indiquant les techniques de blanchiment et de financement du terrorisme éventuellement relevées sur le territoire national et les propositions visant à renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il établit annuellement un rapport récapitulatif. Ces rapports dont copies sont réservées au ministre de la Justice et au Gouverneur de la Banque Centrale du Congo, sont adressés au Ministre des Finances.
Cependant, le Décret suscité n’est pas présidentiel comme prévu par la Loi. C’est le Premier ministre qui décrète. La raison est qu’en 2006, la RDC s’est dotée d’une nouvelle Constitution du 18 février qui permet au Premier ministre de statuer par voie de décret alors que le Président de la république par voie d’ordonnance.
La Cellule travaille en collaboration directe avec la Banque Centrale du Congo et les Autorités judiciaires par échange régulier d’informations. La Banque Centrale avise notamment la Cellule des procédures disciplinaires engagées à l’encontre des établissements de crédit et autres intermédiaires financiers ayant failli à leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme[10].
Il convient de signaler que les agents de la Cellule des Renseignements Financiers ont la qualité d’agents et d’officiers de police judiciaire. Ils sont donc tenus au secret des informations ainsi recueillies qui ne peuvent être utilisées à d’autres fins que celles prévues par la Loi.
II.2.2. Déclaration de soupçon
Tel qu’indiqué ci-haut, tout assujetti visé à l’ article 4
est tenu de déclarer à la Cellule des Renseignements Financiers, avant leurs réalisations, les opérations prévues à l’ article 4
alinéa 1er, lorsqu’elles portent sur des fonds suspectés de provenir de l’accomplissement d’une ou de plusieurs infractions, ou d’être liés au financement du terrorisme.
Il s’agit également d’une imposition du législateur hormis la vérification et l’identification des clients et l’organisation interne du bureau.
La forme de la déclaration transmise est soit par tout moyen écrit soit par téléphone. Toutefois, si la déclaration est faite téléphoniquement, le législateur impose une confirmation par écrit.
En cas de transmission par télécopie, celle-ci doit être confirmée dans le plus bref délai par le dépôt ou l’envoi de l’original.
La déclaration doit indiquer la description de l’opération, toute indication utile sur les personnes y participant, les raisons pour lesquelles l’opération a déjà été ou doit être exécutée.
Il revient à la Cellule d’accuser réception quand elle est saisie d’une déclaration de soupçon.
La réaction de la Cellule dépend des informations qui sont mises à sa disposition. L’ article 22
de la Loi permet à la Cellule de faire opposition à l’exécution de l’opération en raison de la gravité ou de l’urgence de l’affaire pendant une durée qui ne peut excéder deux jours.
L’opposition doit se faire avant l’expiration du délai d’exécution mentionnée par le déclarant par tout autre moyen écrit ou par télécopie.
Toutefois, le ministère public peut, à la requête de la Cellule des Renseignements Financiers, saisir les fonds, comptes ou titres pour une durée supplémentaire qui ne peut excéder huit jours, sur ordonnance motivée et susceptible de recours endéans quarante-huit heures.
Le législateur prône la confidentialité de la déclaration qui produit le rapport que transmet la Cellule au ministère public. Ce rapport sur les faits n’est transmis que lorsqu’apparaissent des indices sérieux de nature à constituer l’infraction de blanchiment.
Le rapport doit être accompagné de toutes pièces utiles, à l’exception de la déclaration de soupçon elle-même. Ne doivent pas figurer dans ce rapport l’identité de l’auteur de la déclaration et celle de l’agent de la Cellule des Renseignements Financiers en charge du dossier. La ratio legis de l’ article 23
à son alinéa premier en interdisant de joindre au dossier répressif la déclaration de soupçon ou les informations supplémentaires émanant du déclarant est la sécurité du déclarant.
Le ministère public est doté de moyens par le législateur afin de prouver l’existence d’une infraction d’origine ou des infractions de blanchiment de capitaux, de financement du terrorisme. Sur ordonnance motivée du juge compétent, le ministère public peut recourir aux techniques particulières d’investigation telles que décrites par l’ article 25
de la Loi. Il s’agit notamment du placement sous surveillance des comptes bancaires et des comptes assimilés aux comptes bancaires, l’accès à des systèmes, réseaux et serveurs informatiques, la communication d’actes authentiques et sous seing privé, de documents bancaires, financiers et commerciaux.
Qui plus est les autorités judiciaires peuvent également ordonner la saisie des documents ou éléments mis à leur portée lorsqu’elles suspectent en ayant des indices sérieux que ces documents ou éléments sont utilisés ou susceptibles d’être utilisés par des personnes soupçonnées de participer aux infractions sus visées.
Les autorités judiciaires et les fonctionnaires compétents chargés de la détection et de la répression du blanchiment et des infractions liées à celui-ci peuvent saisir les biens en relation avec l’infraction objet de l’enquête, ainsi que tous éléments de nature à permettre de les identifier, geler les capitaux et les opérations financières sur des biens susceptibles d’être saisis ou confisqués, qu’elle qu’en soit la nature.
Il s’agit notamment des mesures coercitives.
Somme toute, pour l’analyse du dispositif, la Loi du 19 juillet 2004 vise à empêcher qu’un bien criminel franchisse l’économie licite au travers d’une opération de blanchiment. L’Etat, pour atteindre cet objectif, oblige les personnes susceptibles d’entrer en contact, dans le cadre de leur profession (assujettis), avec des biens illicites à déclarer de bonne foi aux autorités et plus précisément à la Cellule Nationale des Renseignements Financiers toutes les opérations présumées de blanchiment qu’elles ont constatées dans l’exercice de leur profession. Ces assujettis disposent de moyens légaux pour identifier des actes de blanchiment de capitaux. Ils ont donc, selon notre compréhension, une obligation de moyens et non une obligation de résultat.
La Cellule étudiera la transaction signalée et si son analyse fait apparaître des indices suffisamment graves de blanchiment de capitaux, elle en fera rapport au ministère public. Les autorités judiciaires peuvent ensuite ouvrir une investigation pouvant conduire à une sanction pénale et à une confiscation au profit de l’Etat de tous les biens impliqués dans l’opération de blanchiment.
III. Responsabilité et secret professionnel
Le législateur pose comme principe l’exemption de responsabilité civile, pénale ou disciplinaire ou de sanction professionnelle quand bien même il y a eu préjudice résultant directement d’une déclaration de soupçon et dommage subi.
Toutefois, la déclaration de soupçon, la transmission des informations doivent se faire de bonne foi.
Cette exemption concerne tout assujetti qui de bonne foi a transmis les informations ou effectué les déclarations prévues par les dispositions de la Loi.
Si préjudice il y a, c’est à l’Etat que revient la responsabilité de répondre au dommage subi aux conditions et dans les limites légales.
Les établissements de crédit ne peuvent invoquer le secret professionnel s’ils doivent mettre à la disposition des autorités requises des documents nécessaires cités à l’ article 12
dans le cadre d’une enquête ordonnée ou effectuée sous le contrôle de l’autorité judiciaire portant sur des faits de blanchiment ou de financement du terrorisme.
Nous pouvons déduire que ce secret professionnel concerne tout assujetti notamment aux commissaires aux comptes, experts comptables, auditeurs externes et conseillers fiscaux, avocats, lorsqu’ils conseillent ou assistent des clients ou lorsqu’ils agissent en leurs noms et pour leurs comptes dans l’achat et/ou la vente de biens, d’entreprises ou de fonds de commerce, de titres ou d’autres actifs, la manipulation d’actifs, lors de l’ouverture des comptes bancaires, la constitution, la gestion ou la direction des sociétés, des fiducies ou de structures similaires, ou de toutes autres opérations financières .
Dans le cadre de leur profession, l’avocat est notamment appelé à respecter le secret professionnel, les experts comptables, les auditeurs externes et les conseillers fiscaux sont appelés à respecter la confidentialité de leurs dossiers clients.
Par conséquent, l’ article 27
fait sauter ce verrou. Et, les clients ne peuvent en aucun cas les attaquer pour préjudice et dommages subis.
Ils sont irresponsables devant la Loi.
IV. Répression des infractions
La Loi prévoit des sanctions pénales accompagnées du paiement des amendes et des confiscations pour ceux qui auront commis un fait de blanchiment ainsi que leur complice[11]. L’auteur du délit ou infraction d’origine peut être également poursuivi pour l’infraction de blanchiment.
Le législateur fixe le maximum de la servitude pénale à dix ans et de l’amende à six fois le montant de la somme blanchie pour les personnes physiques.
Cependant, le législateur double la peine de servitude et l’amende lorsque l’infraction est perpétrée dans le cadre d’une organisation criminelle. L’amende atteint le montant de 100 000 dollars américains s’il y a récidive ou lorsque l’infraction est commise en utilisant les facilités que procure l’exercice d’activités professionnelles.
Il prévoit également une répression pour les personnes morales autre que l’Etat lorsqu’elles sont bénéficiaire desdites infractions ou ces dernières ont été commises pour leur compte par l’un de leurs organes ou représentants. Cette répression peut aller jusqu’à l’interdiction à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement certaines activités professionnelles, à la dissolution lorsque la personne morale a été créée pour commettre les faits incriminés.
Il sied de rappeler que les établissements de crédit doivent avoir des procédures internes de prévention du blanchiment. Par ailleurs, l’ article 37
étend cette obligation à tout assujetti.
Par conséquent, en cas de défaut de vigilance ou de carence dans l’organisation desdites procédures, l’autorité disciplinaire ou de contrôle, la Banque Centrale du Congo pour les Banques, l’Autorité de Régulation et de Contrôle des Assurances, peut agir d’office, dans les conditions prévues par les règlements professionnels et administratifs. Et la Cellule des Renseignements Financiers doit être avisée des procédures disciplinaires engagées et des décisions qui sanctionnent l’assujetti.
Et si condamnation pour infraction de blanchiment consommée ou tentée il y a, la confiscation sera ordonnée. Elle est aussi ordonnée lorsque l’infraction est constatée par le tribunal et cependant, la condamnation ne peut être exécutée contre son ou ses auteurs, lorsque les faits ne peuvent donner lieu à poursuite et que le ministère public la demande à un juge à titre de mesure de sûreté.
Pour ce dernier cas, le juge peut prendre une ordonnance de confiscation.
Les bien concernés sont ceux qui font l’objet de l’infraction, des biens appartenant, directement ou indirectement, à une personne condamnée pour fait de blanchiment.
La loi frappe de nullité tout acte passé à titre onéreux ou gratuit entre vifs ou à cause de mort qui a pour but de soustraire des biens aux mesures de confiscation prévues par la Loi.
Les ressources ou les biens confisqués sont dévolus à l’Etat qui peut les affecter à un fonds de lutte contre le crime organisé ou le trafic de drogues. Ils demeurent grevés, à concurrence de leur valeur, des droits réels licitement constitués au profit des tiers.
En cas de confiscation prononcée par défaut, si la juridiction, statuant sur opposition, relaxe la personne poursuivie, elle ordonne la restitution en valeur par l’Etat des biens confisqués, à moins qu’il soit établi que lesdits biens sont le produit d’une infraction.
Titre II. Pour une amélioration législative
Depuis 2004, année de la promulgation de la Loi sur le blanchiment de capitaux et lutte contre le terrorisme jusqu’à 2020, autant d’évènements que d’affaires ayant des implications législatives, financières, réputationnelles au niveau national (l’adoption et la promulgation de la Constitution révisée du 18 février 2006, l’adhésion de la RDC comme membre associé du GABAC, des grandes transactions financières sujettes à polémique dans l’espace public) et aussi international, les sanctions internationales contre des individus et entités (Panama, paradise papers par exemple) se sont passés en RDC nous poussant non seulement à mieux appliquer l’arsenal juridique sur le blanchiment de capitaux et la lutte contre le terrorisme mais également et surtout à l’améliorer.
I. Une application avant tout
Il convient également de signaler que nonobstant le fait que depuis plusieurs années, la lutte contre le blanchiment de capitaux fait l’objet d’une mobilisation internationale. Néanmoins, le décalage réel entre la rigueur potentielle des sanctions de cette infraction et la modestie des résultats obtenus est bien immense.
Nous pouvons affirmer sans peur d’être contredit que le plus grand problème n’est pas la qualité ni l’existence de textes concernant le blanchiment de capitaux dans notre pays. L’éternel problème demeure l’application ou le respect des textes de loi.
La CENAREF reçoit-elle les déclarations auxquelles sont tenus les assujettis ? Ces derniers respectent-ils des obligations relatives au respect de la Loi sur le blanchiment de capitaux ?
Si ces assujettis s’acquittent de leurs obligations, la CENAREF quant à elle se réfère-elle au parquet pour les personnes présumées coupables de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ? Est-ce qu’elle réalise ou fait réaliser des études périodiques sur l’évolution des techniques utilisées aux fins de blanchiment de capitaux sur le territoire national ? Ses rapports sont-ils publiés ? Emet-elle des avis sur la politique de l’Etat en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et sur sa mise en œuvre ?
Passons au Comité Consultatif de Lutte contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme (COLUB en sigle) au risque que la CENAREF crie à l’acharnement.
Ce comité se réunit-il par semestre sur convocation de son président ? Si non, le Gouvernement le fait-il selon l’alinéa deux de l’ article 4
du Décret créant le COLUB ? Propose-t-il au Gouvernement les mesures adéquates à prendre pour l’amélioration de la stratégie et du dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ?
Tant qu’il n’y aura aucune volonté d’application de textes luttant contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ces textes de loi ne serviront que de décors inefficaces.
Ceci ne veut pas dire que nos textes de loi ne sont pas appelés à être améliorés.
II. Une amélioration législative
Il est primordial que les lois relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ainsi que les instructions de la Banque Centrale du Congo évoluent et s’adaptent aux réalités financières.
CEMAC
Nous l’avons signifié dans l’introduction de ce document que la RDC ne peut se prévaloir du Règlement de la CEMAC quand bien même elle est membre associé de la GABAC. Il est donc important que les autorités législatives du pays ratifient pleinement le Règlement de la CEMAC et votent une loi de ratification en interne dudit Règlement[12]. Ainsi en cas d’absence ou de vide juridique, nous pourrons nous référer à la norme CEMAC.
Système déclaratif et Parquet financier
Après analyse du dispositif légal, nous pouvons affirmer que la collaboration entre les assujettis et les autorités requises, ainsi que le contrôle de ces dernières auprès de ceux-là, ne se fait que par un système déclaratif. La CENAREF et la Banque Centrale du Congo ne peuvent que réagir. Elles attendent les déclarations en aval[13].
Sans la déclaration des assujettis, la CENAREF ou la Banque Centrale ne peuvent entreprendre aucune enquête. Et leur champ d’informations qui est leur champ d’enquête n’est que celui qui leur est présenté par les assujettis.
Cependant, la Banque centrale se retrouve juge et partie et cette situation crée un conflit d’intérêt. En effet, il sied de rappeler que la Banque centrale est une assujettie et est soumise aux mêmes obligations que tous les autres assujettis[14]. Contrairement aux autres, la Banque centrale a le rôle d’enquêteur.
Il est donc impérieux d’élargir son champ d’action et ses moyens de lutte permettant à la CENAREF d’être non seulement dans la réception de déclarations mais également dans la recherche des infractions.
La CENAREF doit avoir un droit d’enquête lui permettant de se présenter et prendre copies des éléments pouvant se rapporter à des opérations qui lui semble suspectes ou sujettes simplement à vérification pour des périodes qui lui semblent adéquates.
Le législateur doit respecter la confidentialité de la déclaration de soupçon en veillant sur la neutralité de la Banque centrale.
En outre, une digitalisation du système déclaratif garantira la rapidité déclarative voire même renforcera la confidentialité des déclarations lors de leur dépôt.
Aussi, est-il judicieux que les autorités requises aient la capacité légale de donner des injonctions au Procureur Général de la République ou à un Procureur financier avec un parquet national financier afin d’avoir un bras juridique et policier pour arriver aux fins de leurs enquêtes.
Centralisation de la gestion de licence
Pour chaque transaction internationale, l’établissement financier ouvre une licence du client pour lequel il effectue le paiement au niveau international. La banque doit disposer des preuves liées à cette transaction notamment l’identité du client, les factures.
Cependant, la Banque Centrale du Congo est totalement absente de ces opérations vu le système déclaratif présenté ci-dessus. Ce n’est pas l’audit du compte de la classe 3 réservé aux clients qui lui donnera des informations vraies et exhaustives étant donné que les opérations peuvent passer par des comptes suspendus qui vont être soldés avant la fin du mois par exemple. Par conséquent, il n’y aura aucune trace dans la balance.
Pour pallier ce risque, nous suggérons une centralisation de la gestion de licence. La Banque Centrale du Congo doit piloter l’ouverture des licences en ayant un code contrôlé. Une instruction allant dans ce sens-là armera la Banque Centrale du Congo.
Fraude/Evasion fiscale
Il est un fait, et non le moindre, que l’exclusion de la fraude fiscale du périmètre du blanchiment de capitaux en RDC constitue l’une des principales failles dans la lutte contre cette calamité nous empêchant d’obtenir les résultats escomptés. Les praticiens du droit ont longtemps jugé que le dispositif de lutte contre le blanchiment ne pouvait être mis en œuvre pour lutter contre la fraude fiscale, puisque cette dernière relève d’un champ infractionnel spécifique nécessitant des modes de réaction bien déterminés[15].
Cette marginalisation de la fraude fiscale a été exploitée par les blanchisseurs qui, pour échapper au dispositif de lutte contre le blanchiment, se contentent d’arguer devant les autorités de lutte que les fonds faisant l’objet du blanchiment proviennent d’une fraude fiscale. Pourtant, le blanchiment de capitaux et la fraude fiscale partagent en commun de nombreuses similitudes. Outre l’utilisation des moyens mis en place par les paradis fiscaux, les deux infractions s’inscrivent dans un processus essentiellement international. Il faut donc améliorer l’approche de la lutte contre ces deux fléaux, d’une part, en développant des passerelles informationnelles entre les administrations fiscales et les cellules de renseignements financiers et, d’autre part, en reformulant la lutte contre les paradis fiscaux dans l’optique d’une coopération judiciaire internationale plus efficace[16].
Nous encourageons le développement législatif de la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices en RDC et devons lutter contre les paradis fiscaux et le manque de transparence de ceux-ci sur les flux financiers. Sans ce combat, nous favoriserons le financement occulte du terrorisme et le blanchiment de capitaux.
Aussi, suggérons-nous une obligation collaborative légale entre l’Administration fiscale et les établissements financiers en particulier voire même avec les autres assujettis en général. Toute ouverture d’un compte bancaire avant même, s’il y a obligation légale, le dépôt de preuve de création de compte bancaire au Guichet unique de création d’entreprise doit être signalée au Fisc pour mieux tracer un client. Un système d’alerte pour des transactions de clients doit être instauré au cas où il y a de multiples sorties financières pendant une courte durée.
Par ailleurs, le législateur devrait interdire aux assujettis notamment les cabinets fiscaux de faciliter la fraude et/ou l’évasion fiscale. Ces cabinets ne doivent agir de façon à aider, à conseiller quelqu’un à ne pas déclarer tous ses revenus, se soustraire à l’obligation de payer des impôts dus selon la loi fiscale voire même à les provoquer[17].
Les assujettis concernés doivent comprendre que la fraude, l’évasion fiscales sont des infractions de base associées au blanchiment de capitaux.
Déclaration du patrimoine et Personnes politiquement exposées
Avant leur entrée en fonction et à l’expiration de celle-ci, le Président de la République et les membres du Gouvernement sont tenus de déposer, devant la Cour constitutionnelle, la déclaration écrite de leur patrimoine familial, énumérant leurs biens meubles, y compris actions, parts sociales, obligations, autres valeurs, comptes en banque, leurs biens immeubles, y compris terrains non bâtis, forêts, plantations et terres agricoles, mines et tous autres immeubles, avec indication des titres pertinents.
Le patrimoine familial inclut les biens du conjoint selon le régime matrimonial, des enfants mineurs et des enfants, mêmes majeurs, à charge du couple.
La Cour constitutionnelle communique cette déclaration à l’administration fiscale. Faute de cette déclaration, endéans les trente jours, la personne concernée est réputée démissionnaire.
Dans les trente jours suivant la fin des fonctions, faute de cette déclaration, en cas de déclaration frauduleuse ou de soupçon d’enrichissement sans cause, la Cour constitutionnelle ou la Cour de cassation est saisie selon le cas[18].
Nous suggérons que la loi contre le blanchiment de capitaux et lutte contre le terrorisme étende cette obligation à toute autre personne physique (personne politiquement exposée par sa fonction à l’instar de Gérants ou Administrateurs des entreprises publiques et privées, des ONG, ASBL, des parlementaires, etc.) ou morale.
Une personne politiquement exposée est une personne qui occupe ou qui s’est vu confier une fonction publique importante. Elle présente un risque particulièrement élevé du fait qu’elle a davantage l’occasion de détourner des fonds publics[19].
Ainsi, la présence d’une personne politiquement exposée (qu’il s’agisse du client même ou de son bénéficiaire effectif ultime) présente donc un risque plus élevé que la normale que le législateur doit prendre en compte dans le cadre du processus d’acceptation du client.
Bénéficiaire effectif ultime
Un bénéficiaire effectif ultime peut être défini comme étant une personne physique (jamais une société ou autre type d’entité) qui contrôle un client ou qui est bénéficiaire ultime des services que l’assujetti fournit à celui-ci, du fait des actions ou des droits qu’elle détient ou de l’influence qu’elle exerce.
Notre législateur doit mettre dans le cadre de lutte contre le blanchiment de capitaux l’accent sur l’importance d’identifier le bénéficiaire, propriétaire effectif ultime d’un client dans le cadre des mesures de diligence mises en œuvre à son égard.
Les assujettis doivent seulement accepter un client s’ils connaissent l’identité de l’entité y détenant une participation importante (sa société mère ultime), de ses dirigeants, de ses administrateurs et de ses parties prenantes importantes, que l’intégrité et la réputation de ces parties ont été évaluées, et que les assujettis sont venus à la conclusion qu’aucune question importante les concernant ne reste non résolue.
La détermination de l’identité du bénéficiaire effectif ultime aide l’assujetti à savoir avec qui en réalité il s’associe. Cependant, elle peut s’avérer difficile surtout dans le cas d’une entité constituée en société dans un territoire où la déclaration de l’identité des propriétaires n’est pas requise[20].
Il sera donc nécessaire que l’assujetti ait l’obligation de demander à son client une déclaration sur sa structure de propriété.
Conclusion
Notre analyse du dispositif sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (la perception d’argent sale qui est introduit dans le système financier, est mis en circulation dans le système financier au moyen d’une série de transactions visant à le dissocier de sa source, finit par retourner au criminel à partir de sources apparemment légitimes après son intégration au système financier), nos avis et suggestions montrent à l’évidence que ce fléau a un impact réel sur l’exercice de la profession des assujettis. Il est important pour ces derniers de prendre des mesures préventives, par l’organisation de leur bureau interne, nécessaires pour une application effective de la Loi.
La responsabilité n’incombe pas qu’à l’Etat et ses composants compétents pour lutter contre cette calamité, il est également dans le devoir des assujettis du secteur privé de prendre leurs responsabilités pour ne pas être des canaux de réalisation du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.
Nous devons garder à l’esprit que la lutte contre le blanchiment est indispensable pour combattre efficacement les criminels financiers dans notre pays. Ces derniers sont en mesure d’empêcher l’éclosion de l’économie légale voire même de décrédibiliser le système financier de toute une nation. Les autorités judiciaires ne sont pas épargnées car elles peuvent être corrompues par ces criminels, ces derniers peuvent recourir à du chantage et à la violence physique.
La collaboration entre les assujettis et la CENAREF, la Banque Centrale du Congo est à encourager, l’amélioration législative est à promouvoir.
[1] Lettre du Gouverneur de la Banque Centrale du Congo du 25 mai 2020, « Respect du seuil maximal de USD 10.000, ou de son équivalent de paiement en espèces ou par titre au porteur dans le cadre de la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme », à Monsieur le Président de l’Association Congolaise des Banques.
[2] S’inspirant de l’Exposé de motif de la Loi n° 04/016 du 19 juillet 2004 portant lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme
[3] Loi n° 15/005 du 17 mars 2015 portant Code des assurances
[4] Lettre du Gouverneur de la Banque Centrale du Congo du 25 mai 2020
[5] L’ article 1er
de l’Instruction 15 bis déroge permet cette dérogation lorsque le paiement est destiné à dénouer les opérations licites dans les zones non desservies par les établissements de crédit ; lorsque le paiement a fait l’objet d’un examen particulier de la part de l’établissement de crédit en tenant compte des obligations du dispositif légal portant lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Dans ce cas, l’établissement est tenu d’en informer la Cellule Nationale des Renseignements Financiers ; et lorsque le paiement est effectué par la Banque Centrale du Congo pour compte du Trésor ou en faveur d’un établissement de crédit agréé après avoir accompli les diligences requises par la loi.
[6] article 13
de l’Acte Uniforme révisé relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique
[7] article 7
de l’Instruction 15 de la Banque Centrale du Congo
[8] Vade mecum, II.2
[9] Idem, II.3
[10] Il convient dans le même cadre de signaler que la Banque centrale du Congo (BCC) et l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances (ARCA) ont signé un mémorandum d’entente pour leur permettre notamment de conjuguer leurs efforts pour une lutte plus active et efficace contre le blanchiment de capitaux, en date du 13 mai 2020.
[11] Articles 34 à 56 de la Loi de 2004
[12] article 214
de la Constitution révisée du 18 février 2006
[13] Article 3, 1° du Décret n°08/20 du 24 septembre 2008 portant organisation et fonctionnement de la CENAREF
[14] article 4
de la Loi du 19 juillet 2004
[15] Loi n° 004/2003 du 13 mars 2003 portant réforme des procédures fiscales telle que modifiée à ce jour
[16] Céléstin Foumdjem, Blanchiment de capitaux et Fraude fiscal, L’Harmattan, 23 avril 2011, Résumé du livre
[17] Aider : fournir du soutien, prêter assistance ; Conseiller : encourager, inciter et amener à s’y adonner ; Provoquer : produire quelque chose par l’effort.
[18] article 99
de la Constitution révisée du 18 février 2006
[19] L’ article 19
de l’Instruction 15 de la Banque Centrale du Congo : « Par personne politiquement exposée (PPE), il faut entendre une personne qui exerce ou a exercé des fonctions publiques par exemple de Chef d’Etat ou de Gouvernement, de politicien de haut rang, de dirigeant d’une entreprise publique ou de responsable de parti politique ».
[20] Le scandale de Panama Papers a démontré qu’il est possible de dissimuler des fonds publics détournés et des produits de la criminalité en recourant à des structures juridiques complexes, telles que des sociétés-écrans, des fondations et des fiducies.
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