Grace au pourvoi n° 112/2016/PC du 30 mai 2016 introduit par Monsieur Mbulu, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, – CCJA –, a rendu l’arrêt n° 103 le 26 avril 2018 où elle a eu l’avantage de poser un principe et relever une exception sur la question relative aux immunités d’exécution des entreprises publiques.
En effet, l’ article 30 de l’Acte uniforme portant procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution, – AUPSRVE -, énonce simplement le principe de l’immunité d’exécution au bénéfice de certaines personnes, sans les énumérer. C’est ce que fait observer un auteur en relevant à juste titre que cet alinéa 1er « ne précise pas quelles sont les personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution. Il aurait été plus logique, sur la même lancée, d’indiquer, dans le même alinéa, quelles sont les personnes qui bénéficient de l’immunité d’exécution ou, tout au moins, quels sont les textes qui permettent de les déterminer »[1].
Ainsi, dans l’arrêt n° 103 du 26 avril 2018, la CCJA a posé le principe relatif à sa compétence exclusive quant à la détermination des personnes bénéficiaires des immunités d’exécution. L’exception relevée dans ledit arrêt se rapporte aux critères caractérisant les entreprises bénéficiaires de l’immunité d’exécution.
Bon à savoir : l’immunité d’exécution telle qu’il en résulte littéralement des dispositions de l’ article 30 AUPSRVE permet de conclure que les personnes publiques ne peuvent subir des procédures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires telles que réglementées par l’Acte Uniforme relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution[2]. L’immunité d’exécution soustrait ainsi les personnes bénéficiaires à une voie d’exécution sur leurs biens au profit d’une partie. Elle se justifie par plusieurs raisons, à savoir la présomption de solvabilité de l’État et/ou ses démembrements et la continuité du service public qui ne doit souffrir d’aucune interruption consécutive à une exécution forcée quelconque. Globalement, il est question d’éviter que l’État souverain se retrouve dans l’impossibilité d’accomplir ses missions de service public, du fait de la saisie de ses biens[3].
Le contexte de l’arrêt n° 103 du 26 avril 2018
En effet, Monsieur Mbulu avait fait pratiquer, au préjudice de la société Grands Hôtels du Congo, des saisies-attributions de créances auprès des différents établissements bancaires de la place, pour avoir paiement de la somme de plus de 50 000 USD.
Ces saisies étaient régulièrement dénoncées au débiteur qui avait élevé contestation. Cette affaire a été porté devant la juridiction présidentielle du Tribunal de travail de Kinshasa/Gombe.
Ce tribunal avait alors annulé lesdites saisies et ordonnait la mainlevée au motif que la société Grands Hôtels du Congo était bénéficiaire des immunités d’exécution. Cette décision a été confirmé plus tard par la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe.
Monsieur Mbulu non satisfait de cette décision avait alors saisi la CCJA contre l’arrêt d’appel.
Dans son mémoire en réponse, la Société des Grands Hôtels, défenderesse au pourvoi, avait soulevé l’incompétence de la CCJA. Elle faisait valoir que le recours était en réalité dirigé contre une violation alléguée du droit interne de la République démocratique du Congo quant à la détermination des entreprises bénéficiaires de l’immunité d’exécution. Elle estimait que cette question était renvoyée au droit interne de chaque État partie de l’Ohada, et partant la CCJA n’est pas compétente.
Le fondement de l’arrêt 103/2018
Contrairement à cet argumentaire et répondant à la première question relative à sa compétence sur la détermination des personnes bénéficiaires des immunités d’exécution, la CCJA a souligné que l’ article 30
AUPSRVE n’a nullement renvoyé au droit national la question de la détermination des personnes bénéficiaires de l’immunité d’exécution, comme il l’a fait pour les biens insaisissables.
Cette détermination est donc de sa compétence exclusive et non du droit interne de chaque État partie.
L’exception, quant à la question des personnes devant bénéficier de l’immunité d’exécution, concerne le critère de détermination des entreprises bénéficiaires.
En fait, le requérant faisait grief à l’arrêt d’appel d’avoir violé les dispositions de l’ article 30
AUPSRVE en ce qu’il avait confirmé l’annulation des saisies-attributions, au motif que la société des Grands Hôtels était bénéficiaire de l’immunité d’exécution alors que celle-ci est une société d’économie mixte.
Le requérant avait exposé que même s’il est vrai que la jurisprudence de la CCJA va dans le sens d’accorder l’immunité d’exécution aux personnes morales de droit public et aux entreprises publiques, il n’en demeure pas moins que la définition du concept d’entreprise publique relève du droit interne de chaque État-partie. Ainsi, en République démocratique du Congo, l’ entreprise du portefeuille de l’État est celle dans laquelle l’État ou toute autre personne morale de droit public détient la totalité ou la majorité absolue des actions ou parts sociales. Lorsque la participation de l’État et de ses démembrements dans l’entreprise est en deçà de la majorité absolue, il s’agit d’un simple placement financier n’entrainant aucun privilège d’exécution. Et, in specie, l’État du Congo ne détenait que 47% des actions de la Société́ des Grands Hôtels, le reste étant détenu à hauteur de 3% par d’autres entités publiques et 50% par des personnes privées.
La CCJA a alors relevé que l’ article 30
AUPSRVE pose, en son alinéa 1er, le principe général de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public et en attenue les conséquences à l’alinéa 2, à travers le procèdé de la compensation des dettes.
Qu’en l’espèce, étant donné que la société des Grands Hôtels est une société anonyme dont le capital social est détenu à parts égales par des personnes privées et par l’État du Congo et ses démembrements[4], elle ne peut pas être bénéficiaire des immunités d’exécution. Une telle société étant d’économie mixte, demeure une entité de droit privé soumise comme telle aux voies d’exécution sur ses biens propres.
En lui accordant l’immunité d’exécution, la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe avait fait une mauvaise application de la loi. La CCJA avait alors cassé sa décision.
Ainsi, la lecture de cet arrêt enseigne qu’aucune société ne peut être bénéficiaire de l’immunité d’exécution dès lors que les parts sociales de l’État ou de ses démembrements, en tant qu’actionnaire dans la société qui se prétend bénéficiaire de l’immunité d’exécution, sont minoritaires ou à égalité avec des personnes de droit privé.
Par ailleurs, lorsqu’une société réunit les attributs d’une entreprise publique, notamment la poursuite d’une mission de service public et la détention du capital par l’État, le fait qu’une autre loi nationale la soumette aux règles de droit privé ne saurait empêcher ladite entreprise publique de bénéficier de l’immunité d’exécution[5] [Voy. CCJA arrêt n° 044/2016 du 18 mars 2016].
Toutefois, outre l’atténuation de l’immunité d’exécution par la compensation, la personne morale bénéficiaire peut y renoncer de façon expresse. Ce consentement exprès la mettra dans le champ des voies d’exécution [Voy. CCJA arrêt n° 136/2014 du 11 novembre 2014].
Consulter l’arrêt n° 103 du 26 avril 2018
[1] Filiga Michel Sawadogo, « La question de la saisissabilité des biens des entreprises publiques en droit Ohada », in Les grands articles de doctrine de l’Ohada parus au recueil PENANT de 2000 à 2013 sous la direction de Alain Feneon, Ed. Juris Africa 2013, p. 401 et ss, cité par Jérémie Wambo, La saisine de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Ohada en matière contentieuse, 2e Ed., Abidjan, 2014, p. 169
[2] Armel Ibono Ulrich, L’immunité d’exécution des personnes morales de droit public à l’épreuve de la pratique en droit OHADA, in Revue de l’ERSUMA : Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 3 – Septembre 2013, Doctrine
[3] Gaston Kenfack D, « Propos sur l’immunité d’exécution et les émanations des États », Revue camerounaise de l’Arbitrage n° 30, Juillet-Août-Septembre 2005, p. 3
[4] La lecture faite par la CCJA pour déterminer si oui ou non la société des Grands Hôtels aurait pu bénéficier de l’immunité d’exécution est conforme à la loi n° 08/008 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales relatives au désengagement de l’État des entreprises du portefeuille autres textes nationales que l’arrêt mentionne d’ailleurs. En effet, cette loi renseigne que l’entreprise publique est toute entreprise du portefeuille de l’État dans laquelle l’État ou toute autre personne morale de droit public détient la totalité ou la majorité absolue du capital social. Ainsi, les parts sociales de la société des Grands Hôtels étant détenu à égalité avec des personnes privées, cela n’a pas pu faire soustraire cette entreprise de l’exécution forcée.
[5] L’arrêt 043/2016 rendu le 18 mars 2016 par la CCJA indique la ratio legis de l’immunité de l’exécution sur les entreprises publiques. En fait, dès lors que les fonds alloués à ces entreprises proviennent essentiellement l’État c’est-dire du Trésor public et représentent donc les deniers publics, ils sont insaisissables.
Par Trésor Ilunga Tshibamba
Avocat à la Cour d’appel