Dans son arrêt n° 003/2018 du 11 janvier 2018, la Cour commune de justice et d’arbitrage, – CCJA -, a décliné sa compétence dans une matière qui pourtant touchait à un acte uniforme, en l’occurrence, celui portant sur le droit des sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique, – AUDSCGIE -.
Il en résulte que même lorsqu’une matière touche au droit Ohada, il existe des limites des compétences de la CCJA lui reconnues par les articles 14 et 18 du Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993 tel que complété et modifié à ce jour, – Traité -.
Contexte de l’arrêt n° 003/2018 rendu le 11 janvier 2018
Le requérant, Monsieur Poussy, a été attrait par citation directe devant le Tribunal de paix de Kinshasa/Gombe pour faux et usage de faux portant sur des actes de société dont un procès-verbal d’une assemblée générale lesquels sont régis par l’ AUDSCGIE
.
Ce Tribunal l’avait déclaré coupable et avait prononcé des sanctions pénales à son encontre. Sur appel de Monsieur Poussy, le Tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe confirma partiellement la décision du premier juge.
Contre ce dernier jugement, le requérant forma un pourvoi en cassation devant la Cour suprême de justice (devenue Cour de Cassation). Cette dernière avait rendu un arrêt le 19 mai 2014 rejetant le pourvoi de Monsieur Poussy. Sur un second pourvoi, ladite Cour s’était déclarée incompétente au profit de la CCJA estimant que l’interprétation et l’application d’un acte uniforme, en l’occurrence l’ AUDSCGIE
ne relevait pas de sa compétence.
C’est donc contre ces deux arrêts de la Cour suprême de justice de la République démocratique du Congo que Monsieur Poussy a exercé, sur pied de l’ article 18
du Traité, son recours en annulation devant la CCJA par une requête en date du 10 juillet 2015. La CCJA, comme dit ci-haut, a décliné sa compétence alors que l’objet du litige, qui concernait le procès-verbal d’une assemblée générale d’une société commerciale, touchait à l’acte uniforme, en l’occurrence, l’ AUDSCGIE
.
Fondement de l’arrêt n° 003/2018
La CCJA a relevé dans sa décision que l’ article 18 du Traité prévoit qu’un arrêt d’une juridiction nationale de cassation ne peut être annulé que si celle-ci a méconnu la compétence de la CCJA, malgré le déclinatoire de compétence préalablement soulevé devant elle. Or la Cour suprême de justice, faisant office de Cour de cassation avait décliné sa compétence dans le cas d’espèce.
De plus, les arrêts attaqués ont été rendus en matière pénale, matière qui, en application de l’ article 14 du Traité échappe à la compétence de la CCJA.
Il résulte de cette motivation que les compétences de la CCJA sont limitées même lorsqu’une matière touche au droit Ohada. Il y a donc deux limitations :
I. Limitation du recours en annulation
Aux termes de l’ article 18 du Traité, une partie ne peut faire un recours en annulation qu’à la double condition qu’elle ait soulevé l’incompétence d’une juridiction de cassation à connaitre de son litige et que celle-ci ait méconnu la compétence de la CCJA.
Dans le cas d’espèce, d’une part, Monsieur Poussy n’avait pas soulevé l’incompétence de la Cour suprême de justice, faisant office de Cour de cassation, puisque c’est lui-même qui l’a saisi. D’autre part, la Cour suprême de justice n’avait pas méconnu la compétence de la CCJA.
La CCJA est donc en droit de se déclarer incompétente puisque les conditions ou les limites fixées à l’ article 18 du Traité n’ont pas été respectées.
Il y a toutefois lieu de signaler que la Cour suprême de justice s’était déclarée incompétente à tort puisque, comme démontré ci-dessus la matière qui lui était soumise n’était pas de la compétence de la CCJA. Nous sommes donc en présence d’un cas de déni de justice et le justiciable s’est vu opposé deux déclinatoires de compétence et ne dispose plus d’une juridiction pouvant régler son litige.
II. Limitation du recours en cassation
Dans l’arrêt sous examen, la CCJA s’est également prononcée sur la limitation de sa compétence en matière de cassation en évoquant l’ article 14 du Traité.
En effet, il ressort de l’ article 14 du Traité que la CCJA peut être saisie par voie du recours en cassation contre des décisions d’appel ou non susceptibles d’appel rendues par des juridictions des États Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des actes uniformes et des règlements, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales.
Il résulte de cette disposition un dépouillement des compétences de cassation judiciaire des juridictions de cassation nationale au profit de la CCJA, dans les matières visées par le Traité.
Bon à savoir : L’exception est un cas soumis à un régime particulier par l’effet d’une disposition spéciale dérogeant à une règle générale. L’exception est donc une règle ayant vocation à régir tous les cas compris en son domaine[1].
Dans le cas d’espèce, l’exception veut que dès lors qu’une décision attaquée applique des sanctions pénale et cela quand bien même un acte uniforme serait en cause, la CCJA reste incompétente. Toutefois, il n’y a pas vide juridique car, le système judiciaire de chaque État partie avait, avant l’entrée en vigueur du Traité et de ses actes uniformes, une Cour appelée à connaitre de la cassation des décisions des juridictions d’appel.
La Cour Suprême de Justice était bel et bien compétente pour connaitre du recours de Monsieur Poussy. C’est donc à tort qu’elle s’est déclarée incompétente.
De son côté, la CCJA, faisant une saine application des dispositions de cet article 14 du Traité, a déclaré non fondé un pourvoi contre une décision appliquant des sanctions pénales c’est-à-dire contre une décision de la Cour suprême siégeant comme Cour de cassation en matière pénale.
Dans une espèce analogue, il a été jugé que : « La compétence de la Cour [CCJA] s’apprécie, non pas sur le fondement des moyens invoqués à l’appui du pourvoi, mais plutôt sur la nature de l’affaire qui a donné lieu à la décision attaquée[2] en cherchant si l’affaire soulève des questions relatives à l’application des Actes uniformes ou des règlements prévus au Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales »[3].
Consulter l’arrêt n° 003/2018 du 11 janvier 2018
Par Trésor Ilunga Tshibamba
Avocat à la Cour d’appel
[1] G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 9e éd., Paris, 2011
[2] C’est nous qui soulignons
[3] CCJA, Arrêt n° 003/2013 du 07 mars 2013, Aff. Abdoulaye Diallo contre Monsieur LALLE Bi Ya Jacques, N°J003-03/2013, in OHADA, Code Bleu, Textes annotés, Jurisprudence résumée de la CCJA, Annotations du droit comparé, Edition 2014, page 32
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