Note critique de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 juillet 2022
en inconstitutionnalité de l’arrêt REA 183 du 27 mai 2022 du Conseil d’État
Par Grace Muwawa Luwungi
Assistant et Doctorant à la Faculté de Droit
En droit comparé, à la différence des cours suprêmes, les cours constitutionnelles peuvent être saisies du contrôle spécifique de la constitutionnalité des décisions de justice par une attribution expresse de compétence par la Constitution. Dans ce cas, la décision de justice est l’objet direct du recours, comme cela est le cas dans la plupart des recours déclenchés par les individus tels que le Verfassungsbeschwerde en Allemagne ou le recours d’Amparo en Espagne[1].
Dans d’autres systèmes en revanche, tels que le système français, belge ou italien, la Cour constitutionnelle peut être amenée – dans le cadre du contrôle de constitutionnalité par voie préjudicielle – à contrôler l’interprétation d’une loi donnée par une juridiction ordinaire et, par ce biais, à contrôler la décision de justice elle-même. Dans cette hypothèse, ce contrôle ne constitue qu’un prolongement de l’examen de la constitutionnalité de la loi[2].
Le Portugal représente, pour sa part, un exemple de système mixte dans lequel un contrôle diffus de constitutionnalité peut aboutir à ce que le Tribunal constitutionnel soit saisi des interprétations délivrées par les juridictions inférieures[3].
En droit congolais, le cadre juridique de l’ouverture d’un contentieux de constitutionnalité des normes juridiques est circonscrit aux articles 160 et 162 de la Constitution du 18 février 2006, 43 à 53 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle (I), et de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle notamment dans l’arrêt sous R. Const 1272 du 4 décembre 2020 dans l’affaire Wanyanga Muzumbi (II).
I. Contentieux de constitutionnalité des normes juridiques circonscrit par la Constitution
Le droit constitutionnel congolais organise deux voies pour l’ouverture d’un contentieux de constitutionnalité des normes juridiques : le contrôle par voie d’action et le contrôle par voie d’exception.
Le contrôle par voie d’action ou contrôle a priori s’applique obligatoirement aux Lois auxquelles la Constitution confère le caractère de Loi organique, aux Règlements Intérieurs des Chambres parlementaires, du Congrès et des Institutions d’Appui à la Démocratie, aux Ordonnances prises après délibération en Conseil des Ministres par le Président de la République, en cas d’état d’urgence ou de siège. Ce type de contrôle qui fait intervenir la Cour constitutionnelle en amont empêche l’entrée en vigueur d’un texte jugé inconstitutionnel.
Le contrôle a priori peut aussi être enclenché par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat ou le dixième des Députés ou Sénateurs pour faire déclarer une loi ordinaire à promulguer non conforme à la Constitution.
Le Procureur Général près la Cour peut également saisir la Cour constitutionnelle pour un contrôle a priori des actes cités ci-dessus, à l’exception des traités et accords internationaux, lorsqu’ils portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux libertés publiques.
D’autre part, le contrôle par voie d’exception ou a posteriori est effectué par toute personne dans une affaire qui la concerne devant une juridiction. Dans son Arrêt RConst 1272 du 04 décembre 2020, la Cour a relevé que l’exception d’inconstitutionnalité n’est possible et réalisée que sur production d’un arrêt ou jugement avant dire droit rendu par la juridiction saisie de la cause lors de l’examen de laquelle cette question prioritaire préjudicielle est invoquée, non pas in limine litis, comme l’a laissé entendre la circulaire n° 001 du 7 mars 2017 du Premier Président de la Cour de cassation, mais plutôt à toute hauteur de la procédure.
Il s’agit d’un moyen d’ordre public qui oblige la juridiction saisie, après avoir prononcé la surséance, de renvoyer l’exception à la Cour constitutionnelle en précisant la disposition législative ou réglementaire déférer en inconstitutionnalité ainsi que celle constitutionnelle dont la violation est vantée.
Ainsi, lorsqu’une loi, ou toute autre source du droit, contient une disposition qui n’est pas conforme à la Constitution, toute partie au procès, qui a intérêt, peut soulever une exception d’inconstitutionnalité. Dans pareils cas, la juridiction de fond doit sursoir à statuer jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle se prononce, seul organe compétent pour statuer sur la conformité à la Constitution.
II. Contentieux de constitutionnalité des normes juridiques circonscrit par la jurisprudence
Dans l’arrêt sous R. Const 1272 du 4 décembre 2020, la Cour constitutionnelle a indiqué qu’hormis sa compétence d’attribution relevant des dispositions des articles 160 et 162 de la Constitution, elle peut exercer sa compétence résiduelle que dans les conditions fixées par sa jurisprudence.
Que dans sa jurisprudence, elle a étendu sa compétence à l’égard de seuls actes d’assemblée sous une double condition que l’acte déféré ne relève de la compétence matérielle d’aucun autre juge, et que le requérant allègue à suffisance de droit la violation d’un droit fondamental auquel la Constitution accorde une protection particulière.
Qu’en l’espèce, l’examen d’une requête qui poursuit l’inconstitutionnalité d’un arrêt de la Haute Cour militaire n’est pas de la compétence de la Cour constitutionnelle car un tel arrêt n’est ni un acte législatif ni un acte règlementaire au sens de la Loi, moins encore un acte d’assemblée au sens de sa jurisprudence mais plutôt un acte juridictionnel susceptible des voies de recours devant la Cour de cassation.
III. Contentieux de constitutionnalité de l’arrêt REA 183 du 27 mai du Conseil d’État
Saisie en inconstitutionnalité de l’arrêt sous REA 183 du 27 mai 2022 du Conseil d’État, la Cour constitutionnelle a procédé à un revirement de sa jurisprudence en affirmant sa compétence en ces termes : « le fait que cette compétence ne soit pas explicitement prévue par la Constitution ne laisse aucunement carte blanche aux juridictions de franchir le Rubicon de l’inconstitutionnalité. En effet, la Cour rappelle que dans sa tradition jurisprudentielle, elle a étendu sa compétence aux actes d’assemblée chaque fois que l’État de droit était menacé. C’est notamment en cas de négation des droits de la personne humaine fondamentalisés et constitutionnalisés par le constituant du 18 février 2006 et en l’absence de toute autre juridiction à même de les rétablir. A ce jour, elle s’appuie aussi sur les législations et la jurisprudence constitutionnelle comparées, en ce qu’elles reconnaissent au juge constitutionnel la compétence de protéger l’État de droit incarné par la Constitution, volonté du peuple, seul détenteur de la souveraineté, même en l’absence de texte ».
S’appuyant sur une telle motivation incorrecte, la Cour a disposé en ces termes : « la Cour, siégeant en matière de constitutionnalité, déclare l’arrêt sous REA 183 du 27 mai 2022 du Conseil d’État pour l’élection du Gouverneur et du Vice-Gouverneur de la Province de la Mongala contraire à la Constitution, et partant nul et de nul effet ». Un dispositif jurisprudentiel qui mérite d’être critiqué pour le bonheur et l’évolution de la science.
En effet, dans un État de droit, les gouvernants ne sont pas des personnes spéciales qui échappent au droit. Ce sont des hommes ordinaires comme les autres citoyens. A l’instar des cours et tribunaux ordinaires qui sanctionnent les actes antisociaux des citoyens, il existe une juridiction constitutionnelle chargée de contrôler l’action des institutions politiques[4], et non pas rétracter ni frapper de nullité les sentences des institutions juridictionnelles étatiques.
L’institution d’une Cour constitutionnelle, autonome des juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif, a fait naître un contentieux constitutionnel à côté des contentieux judiciaire et administratif[5]. L’entreprise n’est pas allée de soi. Elle est le fruit de l’histoire d’un pays dont le régime a été caractérisé par des hésitations de mettre en place une juridiction capable de censurer en toute indépendance les actes inconstitutionnels des gouvernants[6].
Instituée par la Constitution du 18 février 2006, l’article 149 alinéa 2, modifié par l’article 1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 dispose : « … Il est dévolue aux Cours et tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d’État, la Haute Cour militaire ainsi que les Cours et tribunaux civils et militaires», et l’article 157 de la Constitution du 18 février 2006 : « Il est institué une Cour constitutionnelle », la Cour constitutionnelle est organisée par la Loi-organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
En effet, nous lisons dans l’exposé des motifs de la Constitution de la République du 18 février 2006 : « Pour plus d’efficacité, de spécialité et de célérité dans le traitement des dossiers, les Cours et tribunaux ont été éclatés en trois ordres juridictionnels : les juridictions de l’ordre judiciaire placées sous le contrôle de la Cour de cassation ; celles de l’ordre administratif coiffées par le Conseil d’État, et la Cour constitutionnelle ».
A ce stade, le souligne brillamment le Professeur Kaluba Dibwa dans sa thèse de doctorat en droit intitulé « Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l’étude des fondements et des modalités d’exercice de la justice constitutionnelle », il est fort utile de marquer la différence qu’il y a entre la notion de « justice constitutionnelle » et celle de « juridiction constitutionnelle[7].
Cependant, le principe de la constitutionnalité implique d’abord, qu’en vertu du principe de parallélisme de forme et de procédure, seule une loi constitutionnelle, l’expression du pouvoir constituant institué, modifie la Constitution[8], expression du pouvoir constituant originaire. Ceci n’a toujours pas été le cas en RDC où le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en RDC a été modifié par un texte qui portait initialement l’intitulé de Décret-loi avant d’être publié au Journal officiel sous la dénomination de Décret-loi constitutionnel n° 074 du 28 mai 1998[9].
Ensuite, constitutionnalité veut dire « conformité à la Constitution ». Ainsi, dire qu’un texte législatif ou réglementaire doit être soumis au contrôle de sa constitutionnalité implique l’examen par la juridiction constitutionnelle de la conformité de ce texte aux dispositions de la Constitution. Tout texte de droit doit avoir un fondement constitutionnel. Tout texte juridique, législatif ou réglementaire, peu importe son emplacement sur la pyramide de Kelsein, qu’il se situe immédiatement après la Constitution ou non, qu’il soit appelé ou non à subir un contrôle de constitutionnalité, doit trouver son fondement dans la Constitution.
Avant l’institutionnalisation et l’effectivité de la Cour constitutionnelle en RDC, le contrôle de constitutionnalité relevait de la Cour suprême de justice, toutes les sections réunies.
Ainsi, parler de la constitutionnalité implique a priori l’identification des textes juridiques appelés à subir le contrôle de conformité à la Constitution. Cela étant dit, il sied d’écarter de tout contrôle de constitutionnalité possible les décisions de justice, qu’elles soient rendues par les hautes juridictions ou par les tribunaux de police. Les lois congolaises de procédures instituent les seules voies de recours contre les décisions de justice mal rendues.
Au sujet de la hiérarchie formelle des normes juridique[10], la Constitution est donc, d’après les Professeurs LIHAU[11], cette norme supérieure d’où découle toute autre norme nationale ou internationale ; elle est la norme supérieure dans l’ordre juridique étatique, et toutes autres sources de droit viennent en application de la Constitution. Cependant, seuls les actes législatifs, réglementaires et d’assemblée subissent le contrôle de leur conformité à la Constitution : les lois constitutionnelles uniquement dans les limites matérielles et temporelles au pouvoir de révision fondées sur les articles 219 et 220 de la Constitution ; le contrôle a priori des lois organiques ; les lois référendaires ; les lois ordinaires ; les édits provinciaux ; les actes ayant force de loi ; les règlements autonomes ; les actes de gouvernement.
Conclusion
En droit congolais, les décisions de justice ne subissent pas de recours en inconstitutionnalité. Saisie d’un tel recours, la Cour constitutionnelle de la RDC n’a pas d’autre issue de secours que celle de se déclarer incompétente à statuer.
[1] Le Fatin-Rouge SteFanini Marthe, SeveRino Caterina (dir.), Le contrôle de constitutionnalité des décisions de justice : Une nouvelle étape après la QPC ?, Confluence des droits [en ligne]. Aix-en-Provence : Droits International, Comparé et européen, 2017
[2] Idem
[3] Ibidem
[4] M. DUVERGER, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, PUF, 1996, 18ème Edition, p. 28
[5] MABANGA MONGA MABANGA, le contentieux constitutionnel congolais, Kinshasa, EUA, Coll. Droit et société, 1999, p. 9
[6] J-L. ESAMBO KANGASHE, La Constitution congolaise du 18 février 2006 à l’épreuve du constitutionnalisme. Contraintes pratiques et perspectives, Bruylant-Academia, Louvain-La-Neuve, 2010, p. 226
[7] D. KALUBA Dibwa, Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l’étude des fondements et des modalités d’exercice de la justice constitutionnelle, Thèse de Doctorat en Droit, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, Département de droit public interne, 2010
[8] Lire utilement M. LIHAU EBUA LIBANA La MOLENGO, Droit constitutionnel et institutions politiques, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, Année académique 1973-1974, p. 81 et ss., inédit
[9] Lire utilement J-L. ESAMBO KANGASHE, « le texte de la Constitution de la Transition du 4 avril 2003 à l’épreuve de l’identité constitutionnelle », Revue de Droit africain, n° 27, Bruxelles, juillet 2003, pp. 349-364
[10] P. ORIANNE, Introduction au système juridique, Bruxelles-Louvain, Brylant, 1982, p. 147, cité par J-L. BERGEL, Méthodologie juridique, Paris, PUF, 2001, p. 173-174 : La nécessité d’une hiérarchie des normes : L’unité et la cohérence du système juridique suppose que les normes qu’il comporte soient ordonnées au sein d’une hiérarchie, si bien que chacune d’elles doit se conformer, pour son édiction et dans son contenu, aux conditions et aux exigences des normes qui lui sont supérieures.
[11] M. LIHAU EBUA LIBANA La MOLENGO, Op. cit., pp. 81-82 et VUNDUAWE F. VUNDUAWE te PEMAKO, Op. cit., p. 265
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Très bien exposé et Pertinent aussi.
Très beau à lire, merci beaucoup.
Quel est en bref le sens de cet arrêt ?
Et quels en sont les problèmes de droit
Bien dit. Il s’agissait d’un facheux précédent. Et la COur Constitutionnelle vient cette fois de franchir une autre ligne rouge en disant nul en Arrêt de la Cour de Cassation, statuant en matière de cassation, qui pourtant échappe à sa compétence. (Arrêt Rconst1933/1941)
Il n’y a pas, à mon sens revirement jurisprudentiel. En effet, sous R.const. 1272, la Cour Constitutionnelle refuse de contrôler l’arrêt de la haute Cour parce qu’il était encore succeptible d’un recours (cassation) , ce qui n’est pas le cas avec le REA annulé sous R.const. 1800.
Le revirement jurisprudentiel se fait lorsqu’il y a changement de motivation sur une solution de droit. En l’espèce, la motivation n’a pas changé, d’ailleurs elle va changer comment alors que nous sommes devant deux cas différents ?
Je pense que c’est plutôt l’arrêt qui a annulé la décision du tricom qui opère revirement, pas le R.const. 1800.
Du début à la fin de votre article, vous n’avez pas donné les réfences de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle dont commentaire.
Vous êtes limité à donner les références de l’arrêt du Conseil d’Etat REA 183 sans dire par quel arrêt la Cour l’a annulé. Il a fallu que je lise les commentaires pour voir que votre critique portait sur l’arrêt R. CONST 1800.
Au fond, je soutiens l’argumentaire de Monsieur Maximilien
Votre billet a le mérite d’être très formaliste. D’où les conclusions peu concluantes auxquelles il aboutit. Dans une démarche réaliste, vous n’aurez pas telles conclusions. À mon avis, vous devriez combiner les deux approches dans vos analyses pour avoir des conclusions nuancées. D’ailleurs, avec la pratique de la Cour qui se consolide davantage, difficile de suivre vos lignes.