Par Maitre Grace Muwawa Luwungi
Diplômé d’études supérieures en Droit
I. Nature et fondement juridiques de la grève
La grève est une liberté publique individuelle frontalement opposée aux intérêts de l’employeur. Elle est une liberté publique individuelle, constitutionnellement garantie, qui consiste, pour le personnel salarié, à délibérément refuser d’accomplir ses devoirs professionnels, et en assumer les conséquences d’ordre financière. L’article 39 de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 dispose que « le droit de grève est reconnu et garanti. Il s’exerce dans les conditions fixées par la loi qui peut en interdire ou en limiter l’exercice dans les domaines de la défense nationale et de la sécurité ou pour toute activité ou tout service public d’intérêt vital pour la nation. ».
Si les contrats légalement formés tiennent lieu de loi des parties, et que la non-exécution volontaire d’une obligation contractuelle, donc légale, par le salarié peut amener l’employeur à exercer son pouvoir disciplinaire jusqu’à exclure définitivement le salarié de l’entreprise, la grève est une liberté de ne pas exécuter autorisée par le constituant de telle sorte que le salarié qui exerce cette liberté est juridiquement protégé, son travail entièrement sécurisé, au point qu’il ne peut nullement faire l’objet d’une quelconque sanction disciplinaire.
Cette protection juridique se traduit notamment par le fait qu’en cas de grève régulière, l’employeur est tenu d’assurer au salarié et à sa famille les soins de santé, et aussi le logement si celui-ci est pris en charge par lui (article 6 de l’Arrêté ministériel n° 3/68 du 29 janvier 1968 relatif aux droits et obligations des parties à un conflit collectif). Le salarié ne perd que son droit au salaire de base, en vertu de l’exceptio non adimplenti contractus[1], car le salaire est la contrepartie de ses prestations (nous parlons de « salaire » qu’il sied distinguer de la « rémunération »).
Ainsi, le principe est que l’employeur, qu’il s’agisse de l’État, ou d’une personne privée, ne peut sanctionner le salarié qui exerce son droit de grève, lorsque ce mouvement de grève est déclenché conformément à la loi, c’est-à-dire d’une part, lorsque la grève est exercée dans le cadre d’une action syndicale, et que d’autre part elle est déclenchée à la suite de l’épuisement de la procédure conventionnelle ou légale de règlement pacifique des conflits collectifs du travail.
II. Notion de la grève en droit du travail
La grève est la cessation collective et concertée du travail par le personnel d’une ou de plusieurs entreprises pour des motifs d’ordre professionnel, en vue d’obtenir une amélioration des conditions de travail, dont notamment le salaire et les autres avantages qui accompagnes le salaire
Quatre éléments caractéristiques permettent de distinguer une grève licite d’une grève illicite :
- La grève est une cessation de travail collective concertée, c’est-à-dire dans le cadre d’une action syndicale. Cette caractéristique qui exclut toute possibilité de cessation individuelle de travail, qui est constitutive de faute lourde. Cependant, il n’est pas exigé que tous les salariés concernés entrent en grève, même si les bénéfices des actions de ceux qui grèvent profitent aux non-grévistes ;
- La grève est une cessation de travail totale. C’est-à-dire que lorsqu’on fait partie d’un mouvement de grève, on suspend totalement ses prestations pour le compte de l’employeur. On n’exerce pas à moitié ;
- Une cessation de travail dans le but d’obtenir gain de cause pour des revendications d’ordre professionnel. La grève est la cessation concertée du travail en vue de faire aboutir des revendications d’ordre professionnel. Elle entraine la suspension du contrat de travail sans limitation de délai ;
- L’existence d’un conflit collectif de travail : est réputé conflit collectif du travail, tout conflit survenu entre un ou plusieurs employeurs d’une part, et un certain nombre de membres de leur personnel d’autre part, portant sur les conditions de travail, lorsqu’il est de nature à compromettre la bonne marche de l’entreprise ou la paix sociale (article 303 du Code du travail).
III. Procédure de déclenchement de la grève
Aux termes de l’article 305 du Code du travail, le déclenchement de la grève ou la participation à un mouvement de grève ne peuvent avoir lieu qu’à l’occasion d’un conflit collectif du travail et après épuisement de la procédure conventionnelle ou légale.
II.1. L’épuisement des procédures conventionnelle ou légale
Est illicite, la grève déclenchée sans recours préalable et effectif à la procédure conventionnelle. La procédure conventionnelle est celle prévue dans la convention collective. Elle a deux étapes : la conciliation et l’arbitrage. A défaut de procédure conventionnelle, on recourt à la procédure légale : conciliation, médiation, tribunal du travail.
En effet, les travailleurs désireux de déclencher la grève doivent d’abord soumettre le conflit à la négociation préalable avec l’employeur. La grève ne peut être déclenchée pendant les négociations. Elle ne peut être déclenchée qu’à l’épuisement des négociations, et seulement si celles-ci n’aboutissent pas.
III.2. La notification du préavis de grève
Aux termes de l’article 3 de l’arrêté ministériel n° 3/68 du 29 janvier 1968 portant droits et obligations des employeurs et des travailleurs parties à un conflit collectif du travail, après l’épuisement de la procédure conventionnelle ou légale, les travailleurs qui décident de recourir à la cessation collective du travail doivent notifier à l’employeur un préavis de six jours ouvrables à compter de la notification.
L’article 8 de la Convention collective interprofessionnelle nationale du travail précise que les parties s’interdisent d’avoir recours à la grève ou au lock-out pendant le délai de préavis de dénonciation ou de révision ou des pourparlers qui y sont consécutifs.
La copie de la notification est obligatoirement et immédiatement transmise à l’inspecteur du travail du ressort, ce dernier en avise immédiatement le gouvernement ou le ministre du travail selon le cas.
En cas d’accord mettant fin à la grève, les membres du personnel impliqués dans le conflit sont tenus de reprendre le travail dans les 48 heures à dater du jour où ils y auront été invités par un avis affiché à l’entrée de l’établissement où ils étaient occupés au moment de la cessation du travail.
IV. Les effets de la grève
La grève ne rompt pas le contrat sauf faute lourde du salarié. Son exercice ne saurait donner lieu à des mesures disciplinaires en matière de rémunération et d’avantages sociaux. A titre de rappel, la grève suspend le contrat de travail lorsqu’elle est régulièrement déclenchée (article 57.6 du code du travail).
En raison du caractère synallagmatique du contrat de travail, l’employeur est dispensé de payer le salaire ainsi que ses compléments et accessoires. En principe, la retenue à opérer sur la rémunération est proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail des grévistes. Toutefois, un accord, en fin de grève, peut prévoir le paiement de tout ou partie du salaire. En cas de grève régulière, l’employeur est tenu d’assurer les soins de santé aux travailleurs et aux membres de sa famille ainsi que le logement en nature s’ils sont logés par lui.
Pour parer aux effets nuisibles de la grève dans la productivité de l’entreprise ou dans son fonctionnement, l’employeur peut pourvoir temporairement au remplacement des grévistes par l’engagement de nouveaux agents ou par la sous-traitance (la sous-entreprise).
La grève d’une partie du personnel d’une entreprise n’a pas d’effet sur les contrats de travail liant l’employeur et les salariés de l’entreprise qui ont manifesté leur intention de ne pas participer à la grève mais se sont trouvés dans l’impossibilité de travailler, soit du fait de piquets de grève soit en raison de la désorganisation complète de l’établissement. Par conséquent, l’employeur reste tenu de verser à ces salariés la rémunération convenue.
[1] L’exceptio non adimplenti contractus ou l’exception d’inexécution du contrat est un droit dont dispose chaque partie à un contrat synallagmatique de refuser d’exécuter totalement ou partiellement l’obligation à laquelle elle est tenue tant qu’elle n’a pas reçu la prestation qui lui est due. L’exception d’inexécution n’entraîne pas la disparition de l’obligation mais seulement son ajournement, c’est-à-dire la suspension de son obligation.
merci beaucoup tout à été claire