Par Cheick Lupetu Sidibe
Juriste en Droit comparé des affaires
et Ohada
INTRODUCTION
La demande en distraction peut être définie comme étant une action judiciaire reconnue au profit d’une personne dont le bien meuble ou immeuble fait l’objet d’une saisie, sans pour autant qu’il soit redevable d’une dette envers le créancier saisissant.
L’exercice d’une telle action judiciaire, nécessite avant tout l’existence d’une mesure de saisie pratiquée sur un bien appartenant à autrui.
Dans l’espace Ohada, la demande en distraction d’un immeuble saisi, peut être exercée dans l’hypothèse où une personne propriétaire a son bien saisi par un créancier à l’égard duquel, il n’est tenu d’aucune obligation pécuniaire.
La logique de cette action veut que l’immeuble soit préalablement saisi par un créancier sans que le débiteur soit propriétaire réel de l’immeuble. Cette demande en distraction d’un immeuble trouve son fondement juridique en droit Ohada dans les dispositions de l’article 308 de l’AUPSRVE[1].
Quant au soubassement juridique de la demande en distraction des biens meubles, le législateur a prévu dans l’alinéa premier de l’article 141 AUPSRVE que « le tiers qui se prétend propriétaire d’un bien saisi peut demander à la juridiction compétente d’en ordonner la distraction. »[2].
Ces articles posent les soubassements juridiques des demandes en distraction mobilière et immobilière devant les tribunaux compétents dans l’espace Ohada.
Ainsi, l’essentiel de l’analyse portera sur la question de la distraction immobilière. Il est donc primordial d’évoquer le droit à l’exercice de l’action en distraction (1), suivi du délai d’exercice de la demande en distraction (2), et, les effets juridiques de la demande en distraction (3).
I. L’exercice de la demande en distraction dans l’espace Ohada
En matière de la saisie immobilière dans l’espace Ohada, l’exercice de l’action en distraction est un privilège réservé uniquement au propriétaire dont le bien immeuble est injustement saisi par un créancier.
En cas de saisie mobilière dans un Etat membre de l’Ohada, il appartient au propriétaire du bien d’exercer son action conformément aux prescrits de l’article 141 AUPSRVE.
Par conséquent, pour introduire une demande en distraction devant la juridiction qui a rendu l’ordonnance de saisie, le demandeur doit impérativement justifier son droit de propriété sur le bien saisi, sous peine de rejet de sa demande.
A cet effet, l’alinéa 2 de l’article 141 AUPSRVE prévoit « à peine d’irrecevabilité, la demande doit préciser les éléments sur lesquels se fonde le droit de propriété invoqué… »[3].
La rédaction adoptée par le législateur communautaire permet de comprendre que le demandeur qui n’apporte pas la preuve suffisante pouvant justifier le fondement juridique de son action ne peut espérer la recevabilité de celle-ci devant une juridiction.
C’est dans cette logique qu’une jurisprudence d’origine sénégalaise a ordonné la continuation des poursuites sur les objets saisis par procès-verbal, pour cause de production des titres douteux par le tiers demandeur[4].
Il est donc obligatoire et nécessaire d’apporter une preuve suffisante de son droit de propriété devant la juridiction compétente. En pratique, ne peut prospérer une demande en distraction mobilière d’un tiers non propriétaire, sauf cas d’incapacité ou mandat du propriétaire.
Pour ce qui est de la procédure de distraction immobilière, elle est exercée en adéquation avec les dispositions de l’alinéa premier de l’article 308 de l’AUPSRVE qui dispose « le tiers qui se prétend propriétaire d’un immeuble saisi et qui n’est tenu ni personnellement de la dette, ni réellement sur l’immeuble, peut, pour le soustraire à la saisie, former une demande en distraction avant l’adjudication dans le délai prévu par l’article 299 alinéa 2 ci-dessus »[5].
Cet alinéa expose clairement que seul le propriétaire d’un immeuble qui n’est pas débiteur d’une créance est en droit de présenter en justice l’action en distraction contre la saisie pratiquée sur son immeuble. Celle-ci est uniquement possible lorsque son patrimoine immobilier fait l’objet d’une saisie immobilière injustifiée, sans pour autant que ledit immeuble ne soit donné en hypothèque par l’intéressé lui-même.
Pour que cette action en distraction puisse aboutir le propriétaire de l’immeuble saisi doit prouver à la juridiction compétente l’absence d’un quelconque engagement de sa part à l’égard du créancier saisissant.
Par ailleurs, l’article 308 alinéa 2 prévoit que « Toutefois, la demande en distraction n’est recevable que si le droit foncier de l’Etat partie dans lequel est situé l’immeuble consacre l’action en revendication ou toute autre action tendant aux mêmes fins »[6].
Il s’agit en quelque sorte d’une condition à l’exercice de ladite demande dans l’espace OHADA. En effet, la législation foncière nationale de l’Etat membre OHADA dans lequel la saisie est pratiquée doit prévoir l’exercice de l’action en distraction. D’où l’importance primordiale de vérifier dans la législation nationale la possibilité d’exercer une action similaire ayant les mêmes fins.
Aux termes de l’article 309 dudit acte uniforme, le propriétaire de l’immeuble saisi a la possibilité de porter son action contre le créancier saisissant ou contre le débiteur saisi[7].
Cet article permet au propriétaire de pouvoir soustraire rapidement, par le biais de la procédure de distraction, son immeuble saisi.
II. Le délai d’exercice de la demande en distraction
En principe, toute action judiciaire doit être exercée dans un laps de temps bien déterminé, sous peine de prescription ou forclusion.
C’est dans cette même philosophie que le législateur communautaire a prévu dans l’article 299 de l’AUPSRVE le délai dans lequel doit être exercée la demande en distraction immobilière.
L’alinéa premier de l’article précité prévoit que « les contestations ou demandes incidentes doivent, à peine de déchéance, être soulevées avant l’audience éventuelle »[8].
L’analyse qui ressort de cet alinéa, fait inclure l’idée selon laquelle le véritable propriétaire doit formuler une objection ou demander au président de la juridiction compétente la distraction de son immeuble avant l’éventuelle audience.
Ainsi, l’avocat du propriétaire doit constituer dossier avec les pièces justificatives, qui seront déposées au greffe de la juridiction concernée. Ladite demande doit parvenir au greffe du tribunal dans le délai légal prévu.
Le second alinéa du même article 299 dispose que « Toutefois, les demandes fondées sur un fait ou un acte survenu ou révélé postérieurement à cette audience et celles tendant à faire prononcer la distraction de tout ou partie des biens saisis, la nullité de tout ou partie de la procédure suivie à l’audience éventuelle ou la radiation de la saisie, peuvent encore être présentées après l’audience éventuelle, mais seulement, à peine de déchéance, jusqu’au huitième jour avant l’adjudication »[9].
Le délai indiqué oblige l’auteur de la demande en distraction à prendre en considération les prescrits de l’article 299. En cas de non-respect du délai imparti, le propriétaire s’expose à la forclusion. C’est pourquoi en matière de recouvrement des créances, le respect du délai est impératif.
La Cour commune de justice et d’arbitrage a retenu dans une jurisprudence, la logique selon laquelle le propriétaire qui formule son action huit (8) jours avant la date de l’audience d’adjudication, est dans le délai légal[10].
De ce fait, seul le respect du délai permet à un propriétaire de soustraire son bien de la procédure de saisie immobilière.
III. Les effets de l’action en distraction
Les effets juridiques positifs, que peut avoir une demande en distraction immobilière au profit du propriétaire sont l’empêchement de la vente de l’immeuble par adjudication et la soustraction de l’immeuble de la procédure.
L’article 310 de l’AUPSRVE dispose dans son alinéa premier que « lorsque la demande en distraction porte sur la totalité des biens, il est sursis à la continuation des poursuites. Si la distraction demandée n’est que d’une partie des biens saisis, il peut être procédé à l’adjudication du surplus. Les juridictions compétentes peuvent aussi, à la demande des parties intéressées, ordonner le sursis pour le tout »[11].
Dans cette disposition communautaire, le législateur prévoit deux hypothèses auxquelles le juge compétent peut être confronté dans une procédure de demande en distraction. Le premier cas est celui dans lequel une demande en distraction porte sur la totalité des biens saisis par un créancier saisissant. Dans ce cas de figure, le juge compétent a l’obligation de suspendre la procédure, jusqu’à ce que lumière soit faite.
Le second cas concerne l’hypothèse dans laquelle la demande en distraction ne porte que sur une partie déterminée des biens saisis. Dans cette hypothèse, le juge compétent a la possibilité d’exclure de la procédure, la partie sur laquelle porte la distraction. Et d’ordonner à ce titre, la vente de la partie non concernée par la distraction.
Ce même article permet aux parties, de formuler une demande de sursis sur l’ensemble des biens saisis, dès lors que la distraction porte sur une partie des biens saisis.
Il est judicieux pour le juge compétent de suspendre la procédure lorsqu’une demande en distraction lui est soumise dans le respect des prescrits. L’objectif du sursis dans la procédure est de retarder la vente de l’immeuble d’autrui.
Le respect de cette disposition va de l’intérêt du véritable propriétaire du bien saisi, qui est dans une situation inconfortable.
Quant au créancier poursuivant, il bénéficie des termes de l’alinéa 2 de l’article 310 de l’AUPSRVE « En cas de distraction partielle, le poursuivant est admis à changer la mise à prix portée au cahier des charges »[12].
Ce dernier alinéa prévoit que, dès lors la distraction partielle est opérée par la juridiction compétente au bénéfice du demandeur, le créancier saisissant de son côté a le droit de modifier le prix initialement fixé dans le cahier des charges avant la distraction partielle du bien saisi.
En principe, la procédure de distraction ne s’arrête pour le propriétaire demandeur qu’au jour de la soustraction de son immeuble par une ordonnance de la juridiction compétente autorisant la distraction.
[1] article 308 Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
[2] article 141 alinéa 1 Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
[3] article 141 alinéa 2 Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
[4] Tribunal régional hors classe de Dakar, audience publique ordinaire du 03 juillet 2001, affaire Marcel Xavier VENN contre La Société BICIS. Ohadata J-04-480
[5] article 308 alinéa premier de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE)
[6] article 308 alinéa second alinéa premier de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE)
[7] article 309 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE).
[8] article 299 alinéa premier de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE)
[9] article 299 alinéa deux de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE)
[10] CCJA, arrêt n° 049/2009 du 26 novembre 2009, Daouda S. contre D. Yaramangoré
[11] L’article 310 alinéa premier de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE)
[12] L’article 310 alinéa second de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE).
Merci de cette orientation. J’aimerais en outre apprendre davantage beaucoup du droit communautaire OHADA.
Vous remercie pour vos explications portant sur l’action en distraction particulièrement sur les biens immeubles.
Concernant j’apprécierais fort bien qu’il soit fait mention des delais pour l’action en distraction des biens meubles.
Par quel acte de procédure le Juge ordonne la surséance de la procédure adjudication
Très édifiant. Merci beaucoup