Par Maitre Barry MBOBU MUSENGA[1]
I. Rappel succinct des faits
Le 16 octobre de l’année en cours, Honorine Porsche, ressortissante allemande âgée de trente-sept ans, munie d’une arme factice et d’une mallette dont le contenu n’a pas été révélé, s’est introduite dans les locaux de l’agence RAWBANK du rond-point Victoire à Kinshasa, à la manière d’une braqueuse professionnelle.
Les images tirées des caméras de surveillance de la Banque la montrent, seule, tentant un braquage amateur auprès des guichetiers de la banque.
Interceptée par les éléments des FARDC et de la Police Nationale déployés pour la sécurisation de la Banque, elle a été trainé une semaine après, civil de son état, devant le Tribunal militaire de garnison de Kinshasa Gombe pour y être jugée comme auteure en participation criminelle avec deux policiers (agents de sécurité de la banque) et deux autres Agents de la RAWBANK, pour des faits constitutifs d’infraction de terrorisme, association des malfaiteurs et vol à mains armées.
Dans le cadre de la présente réflexion, tel un fil d’ariane, il convient de s’interroger si le tribunal par devers qui, elle comparaît, est compétent pour la juger, elle ainsi que les autres co-prévenus.
La question est d’une importance capitale dans la mesure où, en droit, l’incompétence est le principe et la compétence l’exception, comme qui dirait la compétence, même judiciaire est toujours d’attribution. La doctrine enseigne que « la compétence est toujours d’attribution ; elle ne se présume pas » (YUMA BIABA Louis, Manuel de droit administratif général, Ed. CEDI, 2012, pp. 116-117). Une juridiction saisie ne peut exercer que les compétences qui lui sont expressément reconnues par la loi.
Voilà pourquoi l’incompétence demeure la forme d’illégalité la plus grave et la plus odieuse en raison du fait que les règles de compétence sont d’ordre public.
Il s’ensuit que le juge est astreint de relever d’office toute incompétence même si le plaideur ne l’a pas soulevée et, en aucune façon, l’incompétence ne peut être couverte par une quelconque approbation ultérieure (Lire en ce sens, YUMA BIABA, op. cit).
Ceci dit, trois principes majeurs entrent en ligne de compte dans le processus de détermination de la compétence du Tribunal militaire de garnison de juger non seulement madame PORSHE, mais également toute personne étrangère à l’armée.
II. Le Juge militaire versus au civil
II.1. Principe de délimitation expresse de la compétence personnelle du juge militaire
Ce principe découle indubitablement de l’article 156 alinéa 1 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour aux termes duquel « les juridictions militaires connaissent des infractions commises par les membres des Forces Armées et de la Police nationale… »
Il ressort de cette disposition que la compétence personnelle du juge militaire se limite strictement aux seules membres de l’Armée et de la Police, ces derniers sont, sur base de l’article 106 alinéa 2 du code judiciaire militaire, considérés comme les assimilés aux militaires.
L’esprit général du constituant est d’écarter fondamentalement les civils de la compétence du juge militaire en temps de paix[2].
Bien plus, l’incompétence des juridictions militaires à l’égard des civils est affirmée au 5ème principe du Projet des principes des Nations Unies sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires et l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est donc clair, qu’au regard de ce principe et attendu que Madame PORSCHE est une personne étrangère à l’Armée et à la Police et que nous sommes en temps de paix, ne peut pas être justiciable du tribunal militaire de garnison.
II.2. Principe du juge naturel
Ce principe repose sur l’idée que toute personne doit être jugée par la juridiction compétente, légalement et préalablement désignée par la loi. Il est constitutionnalisé en droit congolais par l’article 19 alinéa 1 de la Constitution.
Cette disposition consacre en effet, que « Nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne… » Il est donc clair qu’aucun fait ou circonstance ne peut faire comparaître quelqu’un devant un juge autre que celui qui a été prévu par la loi. Agir autrement, serait violer fondamentalement un principe a valeur constitutionnelle et partant, la Constitution elle-même.
D’ailleurs à propos de cette même disposition, sous l’Arrêt R.const 876/899 du 21 février 2020, la Cour constitutionnelle, statuant sur l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par le prévenu BULALA MPANU devant la Haute Cour militaire, a jugé que l’article 112 point 7 de la Loi n° 023/2002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire viole les articles 19 alinéa 1er et 156 alinéa 1er de la Constitution. Par conséquent, dès lors que le prévenu BULALA MPANU Paul n’étant ni un militaire, ni un policier, ni un membre du Service national, mais bien un civil, il est justiciable devant les juridictions de droit commun et doit être déféré, en l’espèce, devant la juridiction de droit commun compétente pour connaître des faits pour lesquels il est actuellement poursuivi devant la Haute Cour Militaire, en l’occurrence le Tribunal de Grande instance du lieu de la commission des faits, de son domicile ou de sa résidence, ou du lieu où il aurait été appréhendé, conformément à l’article 19 alinéa 1 de la Constitution et à l’article 115 de la Loi n° 023-2002 du 18 novembre 2002 portant Code judiciaire militaire, telle que modifiée par la Loi organique n°17/003 du 10 mars 2017. (Lire pour amples détails, MASAMAKI IZIRI, « Les juridictions militaires congolaises : compétence problématique et bicéphalisme coordonnés », Revue internationale de dynamique social).
Dans le présent cas sous examen, les infractions de terrorisme, d’association des malfaiteurs et de vol à mains armées sont passible des peines allant de cinq ans d’emprisonnement à la peine de mort.
Or, en vertu de l’article 89 de la Loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences de juridiction de l’ordre judiciaire, la juridiction compétente est Tribunal de grande instance.
De toute évidence donc, le juge naturel de madame Porsche se trouve être le Tribunal de grande instance et non le tribunal militaire de garnison.
II.3. La compétence exclusive du juge de droit commun en cas de participation criminelle entre le civil et le militaire
Pendant longtemps et malheureusement jusqu’à ce jour, le juge militaire a toujours justifié sa compétence de juger le civil poursuivi en participation criminelle avec le militaire, sur base des articles 111,112 et 113, mais aussi très particulièrement sur pied des articles 115 et 119 du code judiciaire militaire.
Pire encore, la Haute Cour militaire a jugée, a tort, que n’est pas fondé le moyen d’annulation tiré de la violation de l’article 156 de la Constitution en ce que les juridictions militaires ne sont pas compétentes de connaître les infractions commises par les personnes étrangères à l’armée car la nouvelle loi organique devant fixer l’organisation, la compétence et le fonctionnement de ces juridictions n’étant pas encore promulguée, les dispositions du Code judiciaire militaire leur reconnaissant cette compétence restent d’application…(H.C.M., Auteur général c. KUTHINO FERNANDO et Csrts, Arrêt RA 020/09 du 23 juillet 2009, Bulletin des Arrêts de la Haute Cour Militaire, 2003-2010).
Y réagissant, il faut dire qu’une telle interprétation méconnait la Constitution. En effet, l’article 221 de la Constitution consacre une abrogation tacite en privant de leurs effets toutes les dispositions antérieures législatives ou réglementaires contraire à la Constitution.
Ainsi, toutes les dispositions du code judiciaire militaire contraires à la Constitution, particulièrement les articles 19 alinéa 1 et 156, ne peuvent être appliqués sous aucun prétexte.
Bien plus, la Loi organique n° 17/003 du 10 mars 2017 a modifié le code judiciaire militaire en ses articles 115 et 119.
Pour le premier et c’est ce qui nous concerne dans la présente étude, il est désormais rédigé ce qui suit : « Les juridictions de droit commun sont compétentes dès lors que l’un de coauteurs ou complices n’est pas justifiable des juridictions militaires, sauf pendant la guerre ou dans la zone opérationnelle, sous 1’état de siège ou d’urgence. »
Il ressort donc de cet article que sauf pendant les circonstances exceptionnelles et ce, quel que soit la nature de l’infraction, le juge de droit commun est le seul compétent de connaître d’un fait infractionnel perpétré par un civil en participation avec un militaire.
En d’autres termes, la seule présence d’un civil dans la perpétration d’une infraction, attire, tel un aimant, tous les justiciables du juge militaire (militaire ou assimilé) devant le juge de droit commun.
Tel semble d’ailleurs être le vœu du législateur de la Loi de 2017, dès lors qu’il affirme dans son exposé des motifs que la présente loi a comme objet, de régler la question de la juridiction compétente lorsque les civils et les militaires se trouvent dans un lien de corréité ou de complicité et ce, par l’harmonisation du Code judiciaire militaire avec la Loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences de juridiction de l’ordre judiciaire, spécialement en ses articles 99 et 100.
En conséquence, le Tribunal militaire de garnison de Kinshasa/Gombe n’a compétence ni pour juger Madame Porsche, ni pour connaître de l’affaire elle-même, en raison du lien de participation criminelle entre civils et assimilés militaires, et en l’absence de toute situation exceptionnelle dans la Ville de Kinshasa suspendant la compétence des juridictions civiles.
Même s’il est très surprenant que les conseils d’aucun des prévenus n’aient soulevés aucune exception, notamment le déclinatoire de compétence ou l’exception d’inconstitutionnalité, le juge lui-même pouvait en soulevé d’office, car la compétence étant d’ordre public.
III. Conclusion
Le procès pénal en réalité est la traduction la plus absolue de l’engagement de l’État dans la promotion et la protection des droits et libertés fondamentaux.
C’est dire en d’autres termes que le procès pénal est le thermomètre de la température démocratique d’un État (voir LUZOLO BAMBI LESSA EJ et BAYONA Ba Meya Nicolas Abel, Manuel de procédure pénale, Kinshasa, PUC, 2011, p. 27).
A travers celui-ci, les observateurs ont la possibilité de démêler le vrai du faux et de discerner le comportement réel d’un État.
Au regard de ce qui précède, le Tribunal militaire de garnison de Kinshasa Gombe ferait œuvre utile en décrétant son incompétence de connaître de l’affaire Honorine Porsche, d’autant plus qu’au regard de la loi tel que démontré supra, le juge compétent est le Tribunal de grande instance.
Une telle position serait conforme avec les articles 19 alinéa 1, 156 alinéa 1 et 221 de la Constitution ainsi qu’à l’115 de la Loi organique de 2017 modifiant et complétant le Code judiciaire militaire.
[1] Avocat au barreau de Kinshasa Gombe (RDC) et Assistant à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa
[2] A titre de rappel, pendant les circonstances exceptionnelles, comme l’état de siège ou de guerre, par ordonnance présidentielle, l’exercice je l’action publique des juridictions civiles est substituée par celle des juridictions militaires, de telle sorte qu’en pareille situations, militaire ou pas, tout infracteur sera de la compétence de ces dernières).


















Un jour, cette voix sera entendue et comprise. Au demeurant, il faut continuer à tirer la sonnette d’alarme.