Le renforcement du contrôle obligatoire des assurances en République démocratique du Congo : enjeux et perspectives de développement du secteur
Par Maître Cheick LUPETU SIDIBE
INTRODUCTION
Le code des assurances[1] en vigueur en République Démocratique du Congo a été promulgué par la loi n°15/005 du 17 mars 2015, dans l’objectif de matérialiser en primauté la libéralisation du secteur des assurances pour ouvrir le marché aux nouvelles compagnies d’assurances privées ou nationale.
Cet avènement a donné lieu à la concrétisation de nouveaux instruments juridiques clairs et modernes, au même niveau que les standards internationaux ou ceux de la zone dite CIMA, de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances.
En effet, il s’agissait d’une opportunité pour le législateur de redorer l’image du secteur des assurances, qui, à l’époque de la monopolisation, jouissait d’une mauvaise réputation auprès des particuliers et sociétés soumises à l’obligation de souscription à des produits assurantiels.
Aujourd’hui, le dernier rapport de l’Autorité de Régulation et de Contrôle des assurances de 2022 a permis d’établir l’évolution du marché des assurances dans notre pays, avec un taux de pénétration de 0,44%, loin des objectifs du marché[2].
Cette situation reflète la non-assurances de plusieurs particuliers et sociétés. C’est pourquoi nous constatons de plus en plus la fuite des propriétaires ou conducteurs des véhicules après la survenance d’un accident de la route dans la ville de Kinshasa. C’est la conséquence de la non-souscription à l’une des assurances les plus connues, à savoir l’assurance automobile, par une grande majorité de la population.
A ce sujet, le rapport de l’Autorité établi la part des primes collectées sur la Responsabilité civile des véhicules terrestres à moteur à 18,16 %[3]. Or les statistiques non officielles font apparaître une estimation de 8 millions[4] de véhicules dans la ville de Kinshasa.
En l’absence de données officielles, cette estimation est à prendre au même titre que celle avancée sur la population.
Les données actuelles montrent que le secteur des assurances demeure encore peu développé comparé aux standards internationaux. C’est précisément pour cette raison que le renforcement du contrôle sur les assurances obligatoires prévues dans le code des assurances de 2015 s’impose aujourd’hui comme un levier stratégique.
La problématique que soulève notre étude est celle de démontrer pourquoi le contrôle obligatoire des assurances en République Démocratique du Congo est crucial aujourd’hui ?
Dans une première partie, nous allons analyser les enjeux du renforcement du contrôle obligatoire des assurances en République Démocratique du Congo, puis, dans une seconde partie, évoquer les perspectives de développement du secteur des assurances en République Démocratique du Congo.
I. LES ENJEUX DU RENFORCEMENT DU CONTRÔLE OBLIGATOIRE DES ASSURANCES EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
Pour mieux répondre aux enjeux liés au renforcement du contrôle dans le secteur des assurances, nous allons aborder au préalable le travail de sensibilisation et de protection des assurés (A), avant l’exercice de tout contrôle obligatoire des assurances (B).
A. Sensibiliser et protéger les assurés : condition essentielle à la stabilité du secteur des assurances
Dans un monde en perpétuel évolution, le secteur des assurances incarne un rôle fondamental dans la protection des biens, des personnes et des activités économiques.
Aujourd’hui avec la libéralisation du marché, le secteur des assurances offre dans notre pays la protection contre de risques, la sécurité financière, la préservation du patrimoine, la prévention sur la santé et un soutien à l’économie nationale.
Il est devenu inimaginable, à notre ère, de voir une entreprise exercer son activité sans une couverture assurantielle. De la même manière, il est inconcevable d’assister au 21e siècle, à la non-couverture des véhicules mis en circulation sur l’étendue du territoire national.
Cette situation de méfiance de la population envers l’assurance trouve son origine à l’époque de la monopolisation du marché. Cela est l’une des conséquences de la non-indemnisation de nombreux dossiers de sinistres, due à la défaillance de la société et à l’absence d’adaptation des couvertures nécessaires. Il s’agit d’un problème qui continu d’avoir un impact négatif sur la confiance du public envers les assureurs en place, tout en fragilisant la crédibilité du secteur assaini par l’actuel code des assurances.
Face à cette réalité, les assureurs et l’autorité de régulation doivent conjointement mener plusieurs campagnes de communication et de vulgarisation, de manière soutenue et appliquée, pendant une longue période afin de sensibiliser la population à changer sa perception des assurances.
Les compagnies d’assurance ont, à cet effet, plusieurs arguments positifs à présenter à la population pour que cette dernière puisse à nouveau faire confiance au secteur de l’assurance en République Démocratique du Congo.
La régulation du secteur des assurances par l’autorité compétente présente un atout majeur dans la stratégie de conviction de la population, d’autant plus qu’elle participe activement à la stabilité économique de plusieurs secteurs d’activité.
Par ailleurs, la marge de solvabilité des assureurs agréés constitue une garantie indéniable sur laquelle l’autorité veille chaque année afin de s’assurer de la viabilité et de la fiabilité des compagnies d’assurance.
La délivrance de l’agrément donne lieu à la mise en garantie d’une caution destinée à couvrir les risques de faillite des compagnies. Cet argument est également convaincant pour changer les perceptions négatives sur le secteur des assurances.
L’adhésion de l’ensemble de la population concernée par l’obligation de souscription aux assurances prévues par le code des assurances contribuera formellement au développement du marché, tout en augmentant la contribution fiscale au bénéfice de l’Etat.
B. Le contrôle obligatoire des assurances : vecteur de structuration et d’expansion du marché assurantiel
Guidé par une grande sagesse, notre législateur a estimé nécessaire de rendre obligatoires six polices d’assurance lors de la rédaction du Code des assurances.
Il s’agit de l’assurance responsabilité civile des propriétaires de véhicules terrestres à moteur[5], de l’assurance responsabilité civile des transporteurs aériens[6], de l’assurance responsabilité civile des transporteurs maritimes, fluviaux et lacustres ou des voies de navigation intérieures[7], de l’assurance risques de construction[8], de l’assurance risques incendie[9], et en fin l’assurance des facultés à l’importation[10].
Toutefois, il convient de noter que le législateur a laissé au chef du gouvernement la latitude de rendre obligatoire, par décret, certaines assurances prévues à l’article 402 du Code des assurances[11].
Cependant, les données statistiques de l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances font apparaître un taux de souscription extrêmement faible sur l’ensemble du territoire national. Comme mentionné dans le grand A, cette situation de faiblesse trouve sa source dans une méconnaissance généralisée touchant 80% de la population.
L’économie de notre pays est dominée par l’informel et par l’absence de contrôle effectif par l’autorité. Cela prive aujourd’hui des millions de nos compatriotes de la protection financière que pourrait leur offrir une assurance, tout en augmentant les ressources mobilisables pour le développement du pays.
Bien que l’avènement du droit OHADA ait constitué une opportunité pour notre pays en matière de formalisation de l’exercice des activités informelles sous forme de sociétés, il n’a pas pour autant permis de résoudre clairement cet immense problème.
Il est plus que jamais nécessaire à ce stade, de renforcer le contrôle sur la souscription des assurances obligatoires. Cela constituerait un levier puissant pour élargir la base assurable en augmentant le nombre d’assurés.
A cet effet, un encadrement rigoureux doit être mis en place, soutenu par des institutions solides telles que l’Autorité de régulation et du contrôle des assurances, la police nationale pour la partie automobile, et la direction de l’urbanisme et de l’habitat pour les risques liés à la construction et à l’incendie. Cela permettrait à l’Etat de s’assurer que les obligations d’assurance soient respectées. Il est évident de faire application des sanctions aux contrevenants.
Il faut noter que l’exercice du contrôle doit être précédé d’une campagne de sensibilisation et d’incitations adaptées à la population, afin d’émerger une véritable culture de l’assurance dans notre pays.
Les enjeux ne sont pas uniquement réglementaires, mais aussi éducatif, social et économique, d’autant plus qu’il faut transformer la perception de l’assurance comme un simple outil accessoire, en un véritable instrument de sécurité et de développement durable de l’économie, tel est le cas dans les pays européens et la zone de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances.
II. LES PERSPECTIVES DE DEVELOPPEMENT DU SECTEUR DES ASSURANCES EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
Pour atteindre les objectifs du marché tels qu’envisagés par le législateur, une modernisation de l’institution chargée de la régulation s’avère nécessaire (A), avant de promouvoir une culture assurantielle par la diversification des offres (B).
A. Modernisation de l’autorité de régulation et renforcement des mécanismes de contrôle
C’est dans les dispositions de l’article 395[12] du code des assurances que le législateur a donné une définition de l’autorité de régulation et de contrôle des assurances en République Démocratique du Congo.
Les missions stratégiques de l’autorité de régulation sont d’abord énoncées au premier alinéa de l’article 396[13] du code des assurances, puis renforcées par le Décret n° 16/001 du 26 janvier 2016 portant création, organisation et fonctionnement de l’autorité de régulation et de contrôle des assurances.
Cependant, l’institution chargée de la régulation du secteur des assurances semble faire face à plusieurs difficultés liées au manque de moyens financiers pour engager un personnel compétent capable de l’accompagner dans ses objectifs.
Pour exercer un contrôle effectif dans le secteur des assurances, l’autorité de régulation doit pouvoir disposer d’un nombre suffisant de salariés, dont les missions consisteront à vérifier, sur terrain, le respect des obligations.
Par ailleurs, le manque de moyens financiers impacte négativement l’autorité de régulation dans la mise en œuvre de ses projets de communication et de sensibilisation de la population sur la nécessité de respecter les obligations prévues par le législateur dans le code des assurances.
Dans sa démarche d’amélioration de l’institution de régulation, le législateur doit prendre en considération la digitalisation du contrôle sur le terrain, afin de renforcer la transparence et la crédibilité cette mission. Dans ce cadre, les assureurs doivent transmettre à l’autorité de régulation, une base de données à jour des assurés, afin d’éviter tout obstacle à la réalisation de sa mission de contrôle.
À titre de droit comparé, il existe en France, une base de données nationale appelée “Fichier des Véhicules Assurés[14]” , accessible aux agents de police dans le cadre de leurs contrôles des automobilistes. L’avantage de ce fichier, est qu’il permet d’anticiper toute contestation des automobilistes concernant la validité de leur assurance au moment du contrôle.
Il faut dire que la même méthode peut être appliqués dans le contrôle des autres assurances obligatoires.
Le législateur peut réfléchir sur la possibilité d’associer les bailleurs et propriétaires immobiliers à la partie concernant les assurances risques d’incendie et de construction. Cela pourrait rendre efficace le contrôle sur terrain.
L’autorité de régulation peut, de son côté, s’inspirer de la zone de Conférence Interafricaine des Marchés d’assurances, pour améliorer le contrôle sur le terrain. L’expertise de cette zone peut être bénéfique pour l’Etat, dès lors qu’elle existe depuis 1992.
B. Promotion de la culture assurantielle et diversification de l’offre
La notion de culture de l’Assurance est envisagée sous un angle assez large d’ensemble organisé de savoirs, de codes, de valeurs et de représentations associés à des pratiques, ce qui permet de parler de cultures savantes, académiques, professionnelles, techniques, de « savoir-faire »[15].
A ce sujet, la notion de la culture assurantielle dont il s’agit ici, concerne essentiellement la population, particulièrement celles devant souscrire aux polices d’assurance conformément aux dispositions du code des assurances.
La démarche consiste à communiquer sur l’importance des produits assurantiels, à protéger les souscripteurs contre les risques imprévus dans plusieurs domaines de la vie professionnelle et familiale, à proposer des contrats adaptés à leurs besoins, à réduire les pertes en cas de sinistre, et à offrir une couverture en matière de la responsabilité civile, entre autres.
Les produits d’assurance à vocation d’investissement doivent également faire l’objet d’une campagne de sensibilisation et de vulgarisation afin de favoriser une adhésion massive. Il s’agit de mener une action d’éducation financière à travers un programme portant sur l’assurance dommages, l’épargne, le crédit, l’assurance-vie et la retraite.
Pour que cette démarche aboutisse, le législateur doit prendre des mesures incitatives destinées aux assureurs, aux intermédiaires et aux assurés pour encourager l’adhésion.
Avant la concrétisation de l’évolution du secteur par la révision du code des assurances, un produit intitulé “micro-assurance” a été mis en place au bénéfice des personnes à faible revenu et des sinistrés de Binza-Delvaux.
Dans la même logique, une micro-assurance auto devrait normalement être accessible aux conducteurs de motos dans la ville de Kinshasa, voire sur l’ensemble du territoire national.
La diversification des produits va de pair avec l’obligation de conseil des assureurs. Autrement dit, ces derniers doivent être en mesure d’accompagner et de conseiller efficacement les assurés, afin d’éviter toute incompréhension concernant la prise en charge des dossiers de sinistres.
La diversification des offres assurantielles permet tout d’abord de toucher un plus grand nombre de personnes physiques et morales. Cet élargissement du marché favorise l’augmentation des primes émises, ainsi que la contribution fiscale au profit de l’État.
Les assureurs peuvent également proposer un produit d’assurance spécialement conçu pour les entrepreneurs, afin de protéger ces professionnels contre certains risques.
À ce jour, aucune assurance agricole n’a été développée au profit des entreprises agricoles dans notre pays. Or, ces sociétés sont exposées aux risques climatiques et aux catastrophes naturelles.
CONCLUSION
Pour conclure, le renforcement du contrôle obligatoire des assurances en République Démocratique du Congo s’avère nécessaire, et, constitue un levier essentiel pour assainir et structurer durablement le secteur. Pour cela, il faut garantir une meilleure mise en application des règles, une transparence accrue du secteur et une couverture effective des risques.
L’évidence voudrait que ce mécanisme offre des perspectives prometteuses pour la croissance du marché assurantiel national. Il contribuera non seulement à la protection des assurés, mais aussi à l’élargissement de la base fiscale, à l’attraction des investissements, et à la modernisation globale de l’économie.
Cette dynamique exige une volonté politique affirmée, une coopération étroite entre les parties prenantes, à savoir le régulateur, les assureurs, les entreprises, et les citoyens, ainsi qu’un renforcement des capacités institutionnelles.
C’est à ce prix que le secteur des assurances pourra pleinement jouer son rôle de moteur de développement, de résilience économique et de stabilité sociale en République Démocratique du Congo.