Par Dan IDIMA NKANDA
Assistant à la Faculté de Droit de l’Université de Kikwit
Avocat à la Cour
Consultant au Cabinet Intelligence Consulting Sarl
La question du tiers-saisi fait l’objet d’une discussion intéressante dans la pratique judiciaire et son implication dans une procédure où il n’a aucun lien, jusqu’à y jouer un rôle déterminant dans le recouvrement de la créance du créancier saisissant, suscite de nombreuses questions, en ce qui concerne son statut juridique et l’étendue de sa responsabilité. Il s’agit, de l’identification, mieux de la détermination de la qualité de tiers-saisi, d’une tierce personne, mais qui n’est pas totalement tierce.
En effet, il ne suffit pas pour un créancier de prouver l’existence de sa créance, ou de produire le jugement de condamnation de son débiteur au paiement des sommes d’argent à son bénéfice. Il faudrait, en outre, exercer son droit de suite, ou poursuivre l’exécution du jugement de condamnation en vue de se faire payer. Ce qui n’est pas chose aisée, lorsqu’on fait face à un débiteur insolvable, prêt à mettre tous les moyens juridiques et matériels en place afin d’organiser son insolvabilité.
Si le débiteur X est en même temps créancier d’un autre débiteur Y, la loi reconnait la possibilité au créancier du débiteur X de faire saisir les biens ou les sommes d’argent de son débiteur X se trouvant entre les mains du débiteur de son débiteur (Y), en possession ou en détention. Cependant, ce dernier peut lui également, par malice et en intelligence avec son créancier, organiser l’insolvabilité de son créancier qui est débiteur d’un autre créancier.
Dans le souci de contenir ces manœuvres, l’Acte uniforme révisé portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies d’exécution, offre la possibilité aux créanciers saisissants de pratiquer la saisie-attribution des créances auprès d’une personne étrangère au litige, mais détentrice des avoirs du débiteur-saisi qui, au demeurant doit jouer un rôle central pour faciliter cette mesure d’exécution forcée, faute de quoi, sa responsabilité personnelle serait engagée. Cette tierce personne est qualifiée, en droit, de « tiers-saisi ».
I. L’attribution de la qualité de tiers-saisi dans l’AUPSRVE révisé
L’expression tiers-saisi désigne, en matière de saisie sur une créance, toute personne tenue au jour de la créance de la saisie, d’une obligation portant sur une créance de somme d’argent née d’un rapport de droit qui implique un pouvoir propre et indépendant à l’égard du débiteur. En revanche, lorsque la saisie porte sur un bien autre qu’une somme d’argent, le tiers-saisi renvoie à une personne détenant au jour de la saisie, pour le compte du débiteur, un bien sur lequel porte la saisie (Article 1er de l’Acte Uniforme portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des voies d’exécution, J.O OHADA du 15 novembre 2023).
C’est dans cette optique qu’un auteur estime que le tiers-saisi au sens de l’article 156 de l’AUPSRVE, doit être entendu comme toute personne physique ou morale, de droit public ou de droit privé, qui détient les sommes d’argent ou les biens meubles corporels (articles 54 à 68 AUPSRVE) appartenant au débiteur-saisi en vertu d’un pouvoir propre et indépendant, même si elles le détiennent pour le compte d’autrui.
Lire Les limites à la condamnation du tiers saisi au paiement des causes de la saisie en droit Ohada
Par ailleurs, on peut raisonnablement affirmer que tout lien juridique établit entre le débiteur saisi et son débiteur, ne fait pas forcement de celle-ci, tiers saisi. Pour ce faire, elle doit être revêtue de ladite qualité, faute de quoi, elle sera qualifiée de tiers complètement tiers et ne pourra nullement, être condamné pour paiement aux causes de la saisi.
I.1. La qualité de tiers-saisi
La qualité de tiers-saisi ne découle pas simplement du rapport de droit entre celui-ci et le débiteur-saisi. La condition sine qua non pour qu’un tiers revête la qualité de tiers saisi, c’est la détention effective d’une créance, somme d’argent ou avoir en actif à devoir au débiteur au moment de la saisie. C’est dans cet ordre d’idée que la CCJA insiste dans ses décisions sur le fait que la personne entre les mains de qui la saisie est pratiquée doit avoir la qualité de tiers-saisi (CCJA, Arrêt n°040/2011 du 08 décembre 2011 – Affaire Banque Islamique du Niger pour le commerce et l’investissement, dite BINCI SA c/ Etat du Niger), ce qui voudrait autrement dire qu’elle doit effectivement détenir des obligations vis-à-vis du débiteur et non l’inverse. Cette qualité ne doit pas se présumer, elle doit se prouver.
Ainsi, le lien de droit entre le débiteur-saisi et son débiteur peut conférer à celui-ci la qualité de tiers complètement tiers, car n’ayant aucune obligation à l’égard du débiteur saisi au moment où la saisie est pratiquée.
I.2. Tiers complètement tiers aux causes de la saisie
Dans les prévisions de l’article 156 de l’AUPSRVE, le tiers entre les mains de qui est effectué une saisie et qui ne détient aucune somme pour le compte du débiteur saisi ou dont les comptes sont négatifs encore débiteurs, ne saurait être tiers saisi. Tel est le cas, d’une caissière ou un gérant salarié qui ne saurait avoir la qualité de tiers-saisi, car non seulement qu’il ne dispose à sa guise des sommes entre ses mains, mais plutôt, le lien de droit, ici, exclut les notions de subordination et de dépendance. De même, le cas d’une banque qui, après l’opération de saisie, ne détient aucun compte ouvert en ses livres en faveur du débiteur saisi.
Il en est ainsi du compte bancaire du débiteur-saisi qui, au moment de la saisie, n’est pas encore ouvert, la qualité de tiers-saisi étant déterminée au moment de la saisie. Il n’en reste pas moins de relever le cas d’un tiers qui détiendrait le passif sur les avoirs du débiteur. Car, celui qui, en vertu d’un contrat de dépôt ou d’un pouvoir propre ou indépendant, détient contre le débiteur-saisi une dette est son créancier et non son débiteur.
A cet effet, si pour la cour commune de justice et d’arbitrage les dispositions de l’article 156 sus évoquées ne s’appliquent exclusivement qu’au tiers saisi, il faut admettre, que toute défaillance dans le chef d’une personne dépourvue de la qualité du tiers saisi(CCJA,2 avril 2015, n°015/2016, inedit ; CCJA, 22 mars 2012, n°032/2012, Recueil de jurisprudence, CCJA, n°18, p.157), notamment de déclarer régulièrement l’étendue de son obligation vis-à-vis du débiteur saisi ainsi que de communiquer les pièces justificatives, n’aurait aucun effet sur sa responsabilité.
La pertinence de cette disposition réside dans le fait que la mesure ne peut être menée et produire les résultats escomptés, si le détenteur des sommes appartenant au débiteur, n’apporte son concours, en toute bonne foi.
En effet, le tiers-saisi est tenu d’adopter une attitude de nature à faciliter les mesures d’exécution lorsqu’il en est légalement requis. Dans le cas contraire, son attitude compromettante pourrait faire engager sa responsabilité personnelle et entrainer sa condamnation sur base des articles 38, 81, 154, 156, et 169 de l’AUPSRVE. Il cependant important de noter, que toute attitude, ne résultant nullement de la mauvaise foi du tiers saisi, ne peut entrainer sa condamnation.
II. La Responsabilité juridique du tiers-saisi aux causes de saisie
II.1. Les faits déclencheurs de la responsabilité du tiers saisi
Suivant l’esprit du législateur communautaire, le tiers-saisi est tenu de déclarer sur le champ ou dans les 5 jours de la saisie (selon que la signification a été faite à personne ou non) à l’huissier ou agent d’exécution, l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur saisi ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et, s’il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures. Il doit en outre, communiquer des pièces justificatives (Article 156 AUPSRVE). Toute déclaration inexacte, incomplète, mensongère, tardive, versatile, omettant de signaler les précédentes saisies, refusée par le tiers-saisi et cela, en l’absence de communication des pièces justificatives ou absence de production du soubassement, l’expose à des sanctions sévères.
II.2. Tempéraments à la condamnation du tiers saisi
Le tiers-saisi n’est pas complètement à la merci des créanciers saisissant, qui peuvent obtenir ad nutun sa condamnation aux causes de la saisie même à la suite des banales erreurs commises qui ne dénotent nullement de la mauvaise foi.
Ainsi, le tiers dépourvu de la qualité de tiers-saisi, c’est-à-dire, n’ayant aucune obligation à l’égard du débiteur saisi au moment de la saisi, ne peut être condamné au paiement des causes de la saisie. Pareille règle s’appliquera, lorsque la déclaration a été faite régulièrement par le tiers-saisi, lorsqu’il y a caducité ou nullité de l’acte de saisi. A côté de ces conditions, le tiers saisi, l’établissement de crédit, ne peut être condamné aux causes de la saisie lorsqu’il invoque l’un des cas ci-après :
- L’absence d’un lien de droit entre lui et le débiteur saisi ;
- L’absence d’un compte ou mieux la détention d’un compte vide, clôturé ou encore passif du débiteur saisi ;
- L’extinction de la créance entre le créancier saisissant et le débiteur saisi ;
- La déclaration par erreur pour le compte du débiteur saisi, les avoirs appartenant à une autre personne ;
- La main levée (judiciaire ou unilatérale) de la saisie ;
- Le défaut de déclaration complémentaire…
Toute personne assignée comme tiers saisie, peut contester cette qualité lui attribuée par le demandeur et solliciter du juge, de le mettre hors cause.
« Gagner un procès, c’est surtout obtenir l’exécution du dispositif de l’arrêt en sa faveur ».