Publié pour la première fois in JuriAfrique, le 19 mars 2018
INTRODUCTION
Le législateur OHADA[1] emploie le terme « arbitrage », dans l’acte uniforme relatif au droit d’arbitrage adoptée le 23 novembre 2017 (« AUA »), sans le définir. Il est considéré par la doctrine comme un mode privé de règlement des litiges fondé sur la convention des parties[2] ou tout simplement comme une justice conventionnelle.
L’arbitrage est donc une procédure de règlement des litiges par une personne privée, dite arbitre, investie par les parties du pouvoir de juger. Son utilisation est très fréquente pour le règlement des litiges nés des contrats internationaux complexes[3].
Il faut souligner que dans l’espace OHADA, l’arbitrage traditionnel, basé sur l’ AUA
du 23 novembre 2017, a vocation à s’appliquer à tout arbitrage lorsque le siège du tribunal arbitral se trouve dans l’un des Etats Parties[4].
Cet Acte uniforme régit l’arbitrage ad hoc dont le tribunal est situé dans l’espace Ohada, tout comme l’arbitrage institutionnel qui se tient sous les auspices des institutions d’arbitrage d’émanation privée qui existent dans l’espace Ohada. L’arbitrage ad hoc désigne celui rendu par un tribunal arbitral indépendamment de toute institution arbitrale alors que l’arbitrage institutionnel est rendu sous l’égide d’une institution arbitrale.
Cet acte uniforme ouvre cette voie de résolution des différends à toute personne physique ou morale de droit public ou privé. Pour ce qui est des personnes morales de droit public, cet acte uniforme prévoit qu’elles peuvent être parties à un arbitrage, quelle que soit la nature juridique du contrat, sans pouvoir invoquer cependant leur propre droit pour contester l’arbitrabilité d’un différend, leur capacité à compromettre ou la validité de la convention d’arbitrage[5].
Ainsi, l’on peut recourir à l’arbitrage sur les droits dont on a la libre disposition. Cette précision indique que l’arbitrage n’est pas limité qu’à la matière commerciale.
L’ AUA
a pour objectif de donner aux parties toutes garanties d’efficacité dans le règlement de leurs litiges, en affirmant l’autonomie de la convention d’arbitrage[6], en réitérant le principe du contradictoire[7] et en consacrant les pouvoirs de l’arbitre, seul juge du fond, mais également en prévoyant l’intervention du juge de l’ordre judiciaire, essentiellement pour la désignation des arbitres si nécessaire et au niveau du contrôle de la sentence arbitrale.
Par ailleurs, de l’analyse de l’ AUA
, il ressort que dans une procédure d’arbitrage, les parties sont maitresses du procès. Grâce à la convention d’arbitrage, les parties choisissent les arbitres et fixent la procédure que ces derniers doivent suivre jusqu’au prononcé de la sentence arbitrale. De plus, les parties sont aussi souvent appelées à collaborer pour la résolution du litige.
Après avoir constitué leur tribunal arbitral, les parties attendent de ce dernier de prononcer une sentence arbitrale selon la procédure et les formes convenues par eux.
Si la sentence arbitrale est bien une décision juridictionnelle, elle n’est pas une décision juridictionnelle comme les autres. Il s’agit d’une décision rendue, sur la base du droit, par un tribunal ou une juridiction indépendante, et revêtue de l’autorité de la chose jugée. Cependant, à la grande différence d’un jugement ou d’un arrêt rendu par une juridiction de l’ordre judicaire instituée par l’Etat, la sentence arbitrale est une décision rendue par un tribunal ou une juridiction qui est elle-même l’œuvre des parties. Aussi bien les garanties de bonne justice sont-elles remises aux parties elles-mêmes.
Etant une justice organisée par les parties elles-mêmes, on conçoit donc mal que les mêmes parties exercent des recours contre la sentence rendue.
Eu égard à cet état de chose, l’article 25 de l’acte uniforme dispose : « la sentence arbitrale n’est pas susceptible d’opposition, d’appel ni de pourvoi en cassation ». Et, M. Denis Roger SOH FOGNO indique que l’exclusion de ces trois voies de recours est tout à fait justifiable[8]. Etant une justice conventionnelle, on voit mal une personne, recourir à l’arbitrage et refuser ensuite de suivre la procédure, au point d’être jugé par défaut, d’où l’exclusion de l’opposition, explique-t-il. Il ajoute ensuite que l’exclusion de l’appel trouve son fondement toujours dans l’origine conventionnelle de l’arbitrage, car les arbitres ne statuent pas en premier ressort, puisqu’ils ne sont pas intégrés dans l’organisation judiciaire des Etats. Toutefois, les parties peuvent expressément prévoir cette voie dans la convention d’arbitrage. Enfin, l’appel étant déjà exclus, il est tout à fait logique que le pourvoi en cassation devant les juridictions étatiques le soit aussi. En effet, le pourvoi en cassation vise à vérifier l’application de la loi par les juges du fond. Or, étant donné que les arbitres ne sont pas obligés d’appliquer la loi[9], cette exclusion devient tout à fait évidente.
Toutefois, il peut arriver que le tribunal arbitral ait violé certaines règles impératives de droit ou que la sentence préjudicie les droits des tiers qui n’ont pas été appelés à l’arbitrage ou encore qu’il ait découverte d’un fait qui était inconnu du tribunal arbitral et d’une partie, de nature à exercer sur la solution du différend une influence décisive ou enfin que la sentence contienne des erreurs et omissions matérielles qui l’affectent. Dans des telles situations, l’ AUA
prévoit des voies de recours qui peuvent être exercées contre une sentence arbitrale, à savoir l’annulation (I), qui est la voie de recours principale ; la tierce opposition (II), la révision de la sentence (III) et la réparation et/ou l’interprétation d’une sentence arbitrale (IV).
I. L’ANNULATION D’UNE SENTENCE ARBITRALE
I.1. Base légale et conséquence du recours en annulation d’une sentence arbitrale
Le recours en annulation contre une sentence arbitrale trouve son fondement dans l’ alinéa 2 de l’article 25 AUA. Cet article indique que la sentence arbitrale peut faire l’objet d’un recours en annulation qui doit être porté devant la juridiction compétente dans l’Etat Partie.
En effet, le recours en annulation de la sentence arbitrale est un recours judiciaire dont la procédure arbitrale en est un préalable. Il s’agit du recours par lequel une des parties au procès arbitral saisit le juge étatique aux fins de voir annuler la sentence arbitrale. Si le juge étatique décide d’annuler la sentence, la procédure arbitrale est censée n’avoir jamais eu lieu. L’effacement de la procédure est rétroactif, étant donné que les arbitres sont censés n’avoir jamais statué, la sentence est censée n’avoir jamais été rendue, et le litige opposant les parties censées n’avoir jamais été résolu.
Il importe de souligner que les parties peuvent, par une déclaration expresse dans la convention d’arbitrage, exclure tout recours en annulation d’une sentence arbitrale à la condition que celle-ci ne soit pas contraire à l’ordre public international[10].
Nous verrons sous ce point les cas d’ouverture d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale (I.1.1.) avant de d’aborder la question relative à la « juridiction compétente » en République démocratique du Congo, in specie casus (I.1.2.).
I.1.1. Les cas d’ouverture du recours en annulation de la sentence arbitrale
L’ article 26 AUA cite limitativement six raisons qui peuvent ouvrir droit à un recours en annulation d’une sentence arbitrale :
- Si le tribunal arbitral a statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée ;
- Si le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé ou l’arbitre unique irrégulièrement désigné ;
- Si le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée ;
- Si le principe du contradictoire n’a pas été respecté ;
- Si la sentence arbitrale est contraire à l’ordre public international ;
- Si la sentence arbitrale est dépourvue de toute motivation.
En effet, la demande d’annulation est recevable dès le prononcé de la sentence. Elle cesse de l’être s’il n’a pas été exercé dans le mois de la signification de la sentence munie de l’exequatur.
Pour pallier à la lenteur des juridictions internes des Etats Partie, l’AUA fixe certains délais à respecter dès la saisine de la juridiction compétente jusqu’au prononcé de la sentence.
Ainsi, la juridiction compétente, à compter de sa saisine, dispose de trois mois pour statuer. Faute de quoi, elle est automatiquement dessaisie de la demande. La partie la plus diligente à la possibilité de porter le recours devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (« CCJA ») dans les quinze jours suivants.
I.1.2. De la juridiction compétente appelée à annuler les sentences arbitrales en RDC
Il faut relever d’emblée qu’en RDC, aucune disposition légale n’existe désignant une juridiction appelée à connaitre d’un recours en annulation contre une sentence arbitrale soumise au droit communautaire. Le législateur de l’acte uniforme renvoie, comme d’habitude, au « juge compétent dans l’Etat partie ». Ce juge pourra varier d’un Etat à l’autre.
Toutefois, pour permettre de dégager une solution, nous nous sommes référé à deux législations des autres Etats membres de l’organisation.
Au Cameroun comme en Côte d’Ivoire, la désignation de cette juridiction est sans équivoque. Pour le premier, la réponse se trouve dans l’article 4 de la loi n° 2003/009 du 10 juillet 2003 portant désignation des juridictions compétentes visées dans l’Acte uniforme au droit de l’arbitrage et fixant leur mode de saisine. Le texte dispose : « le juge compétent visé par les articles 25 et 28 de l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage est la Cour d’appel ».
Nous avons puisé la solution ivoirienne dans l’arrêt n° 010/2003 de la CCJA[11]. La CCJA a relevé que l’Acte uniforme ne précisant pas le juge compétent pour connaître d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale, il y a lieu de se reporter à la loi nationale de l’Etat partie concerné, pour déterminer le juge devant lequel le recours en annulation doit être porté. Aux termes de l’article 44 de la loi ivoirienne n° 93-671 du 09 août 1993 relative à l’arbitrage, « l’appel et le recours en annulation sont portés devant la Cour d’appel dans le ressort de laquelle la sentence arbitrale a été rendue » ; en l’espèce, la sentence arbitrale ayant été rendue à Abidjan, c’est bien la Cour d’appel d’Abidjan qui était compétente pour connaître du recours en annulation.
Sommes toutes, il faut dire que la solution proposée par ce deux Etats n’insinue nécessairement pas que les arbitres statuent en premier degré car, nous l’avons souligné ci-haut, les arbitres ne sont pas intégrés dans l’organisation judiciaire des Etats. Qu’à cela ne tienne, le législateur congolais devrait désigner, de manière non équivoque, la juridiction compétente pour connaitre du recours en annulation d’une sentence arbitrale soumise au droit communautaire.
II. LA TIERCE OPPOSITION
La tierce opposition est ouverte à toute personne devant la juridiction de l’Etat partie qui eût été compétente à défaut d’arbitrage et lorsque cette sentence préjudicie à ses droits[12].
Dans le même sens, l’article 80 du Code de procédure civile congolais dispose : « quiconque peut former tierce opposition à un jugement qui préjudicie à ses droits, et lors duquel ni lui, ni ceux qu’il représente n’ont été appelés ».
Conformément aux articles 25 AUA et 80 du Code de procédure civile congolais, la Requérante saisit la juridiction compétente, en tierce opposition, pour obtenir la rétractation (réformation) de la sentence arbitrale.
La demande en tierce opposition doit en outre spécifier la sentence arbitrale attaquée ; indiquer en quoi cette sentence préjudicie aux droits du tiers opposant et indiquer les raisons pour lesquelles le tiers opposant n’a pu participer au litige principal.
III. LA REVISION
Elaboré de façon prétorienne par la jurisprudence judiciaire française, le recours en révision est ouvert contre les sentences arbitrales en droit communautaire. C’est l’ article 25 de l’AUA qui ouvre droit à cette voie de recours. Il faut relever que toutes les sentences arbitrales entrant dans son champ d’application peuvent être contestées par le recours en révision lorsque les circonstances le justifient.
La révision est une voie de recours extraordinaire et de rétractation par laquelle les parties reviennent devant les arbitres qui ont déjà statué en les priant de modifier leur décision. Ce recours n’est possible qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer sur la solution du différend une influence décisive et qui, avant le prononcé de la sentence, était inconnu du tribunal arbitral et de la partie qui demande la révision[13].
Ces formes d’arbitrage peuvent faire l’objet du recours en révision lorsque le tribunal qui les a rendues est situé dans l’espace OHADA.
L’ article 25 AUA précise in fine que lorsque le tribunal arbitral ne peut plus être réuni, ce recours est porté devant la juridiction de l’Etat Partie qui eût été compétente à défaut d’arbitrage. Ce qui rend la nomination de la juridiction compétente, en RDC, nécessaire.
Il faut relever que cette procédure est nécessaire au droit de la procédure arbitrale car la demande en révision contribue à garantir le caractère juste de la décision.
IV. REPARATION ET/OU L’INTERPRETATION D’UNE SENTENCE ARBITRALE
A première vue, tout semble opposer la demande en interprétation et la demande en révision des sentences arbitrales. A l’inverse de la demande en révision, la demande en interprétation ne saurait prétendre à une modification de la décision rendue. Georges Scelle déclarait : « Le recours en interprétation n’est pas, à proprement parler, un recours contre la sentence ; c’est plutôt une procédure de confirmation[14] ». Les effets des recours seraient donc complétement différents.
Les parties s’étant engagé à se conformer à la décision arbitrale, la sentence présente un caractère obligatoire. Le principe du respect dû à l’autorité de la chose jugée est d’une importance essentielle. Elle limite le recours en interprétation et, d’une certaine manière, le recours en révision.
En principe, la sentence dessaisit le tribunal arbitral du différend[15]. Néanmoins, le tribunal arbitral a le pouvoir d’interpréter la sentence ou de rectifier les erreurs et omissions matérielles qui l’affectent.
Lorsqu’il a omis de statuer sur un chef de demande, ledit tribunal peut le faire par une sentence additionnelle.
Dans l’un ou l’autre cas ci-dessus, la requête doit être formulée dans un délai de trente jours à compter de la notification de la sentence. Le tribunal arbitral dispose d’un délai de quarante-cinq jours pour statuer.
Si le tribunal arbitral ne peut à nouveau être réuni, il appartient à la juridiction compétente dans l’Etat Partie de statuer.
L’interprétation permet ainsi d’établir la sécurité des droits de chacune des parties.
CONCLUSION
L’Acte uniforme de l’OHADA sur l’arbitrage institue une voie de recours propre à la sentence arbitrale, celui du recours en annulation. Il exclut cependant certaines voies de recours, notamment l’appel, l’opposition et le pourvoi en cassation.
Au total, en ce qui concerne les voies de recours contre une sentence arbitrale, le législateur africain consacre le recours en annulation, le recours en révision, la tierce opposition et le pouvoir pour le tribunal arbitral de réparer ou d’interpréter la sentence.
Il a été relevé dans cette brève analyse que certains
Etats africain ont désigné la juridiction compétente pour connaitre de ce type
de recours. Il s’agit de la Cour d’appel. En revanche, la République
démocratique du Congo, jusqu’alors ne dispose pas encore d’une législation dans
ce sens. Nous appelons ainsi de nos vœux le législateur à combler ce vide
juridique par la désignation, sans équivoque, de la juridiction appelé à
connaitre des recours contre les sentences arbitrales soumises au droit
communautaire.
Par Maitre Trésor Ilunga Tshibamba
[1] L’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires est issue du Traité signé à Port-Louis (Ile Maurice), le 17 octobre 1993 et amendé lors du Sommet des Chefs d’Etat à Québec le 17 octobre 2008. Cette étude se rapportera à essentiellement à l’Acte uniforme au droit de l’arbitrage adopté le 23 novembre 2017 à Conakry (Guinée).
[2] Lire à ce sujet, Coco Kayudi, les modes alternatifs de règlement des conflits, in juriafrique.com, publié le 23 juillet 2017
[3] HILARION Alain BITSAMANA, dictionnaire de droit Ohada, Ohadata D-05-33, 1ère Ed., Pointe-Noire, 2003
[7] article 14 AUA
[8] M. Denis Roger SOH FOGNO, Le contentieux de l’annulation des sentences issues de l’arbitrage traditionnel dans l’espace de l’OHADA, in revue camerounaise de l’arbitrage, n° 23, octobre – novembre – décembre, 2003, p. 3
[9] Aux termes de l’article 14 AUA, les parties peuvent soumettre la procédure d’arbitrage à la loi de procédure de leur choix.
[11] CCJA, arrêt n° 010/2003 – M. DELPECH Gérard et Mme DELPECH Joëlle c/ Sté SOCTACI
[12] article 25 AUA
[13] alinéa 6 de l'article 25 AUA
[14] G. Scelle, Rapport sur la procédure arbitrale (A/CN.4/18), A.C.D.I., 1950, vol. II, p. 143
[15] article 22 AUA
Merci de ces analyses combien contributives.La seule question est de savoir si le recours contre une sentence arbitrale est suspensif de l’exécution ?
Cher Sylvain, au regard de l’acte uniforme sur l’arbitrage, sauf si l’exécution provisoire de la sentence a été ordonnée par le tribunal arbitral, l’exercice du recours en annulation suspend l’exécution de la sentence arbitrale jusqu’à ce que la juridiction compétente dans l’Etat Partie ou la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, selon le cas, ait statué.
On comprend que la suspension de l’exécution de la sentence n’est possible que pour un recours en annulation. Quant aux autres voies de recours, elles ne sont point suspensives de l’exécution !
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