Pour établir le dol dans le chef d’un magistrat poursuivi en prise à partie, la Cour Suprême de Justice, siégeant comme Cour de Cassation, dans son arrêt RPP 965, faisait application d’un principe général du droit et condamnait ledit magistrat ainsi que la République démocratique du Congo, son civilement responsable.
Au regard des textes légaux de la République, les principes généraux du droit doivent-ils toujours être appliqués par le juge congolais ?
Bon à savoir : Les principes généraux du droit expriment des règles de droit non écrites, mais qui peuvent néanmoins être appliquées par le juge pour la résolution de litiges dont il est saisi.
A la différence d’autres sources du droit (tels les lois, règlements ou traités internationaux), les principes généraux ne trouvent pas leur fondement dans des textes adoptés par les autorités habilitées à cette fin, mais sont appliqués du fait de leur consécration en cette qualité, à savoir la reconnaissance, par le juge, de leur caractère contraignant[1].
La question revêt toute son importance puisque la Constitution de la République du 18 février 2006, en son article 153 oblige les juges de l’ordre judiciaire à appliquer, aux litiges qui leur sont soumis, « les traités dûment ratifiés, les lois, les actes réglementaires […] ainsi que la coutume […] »[2]. Elle est muette en ce qui concerne les principes généraux du droit dont l’application puisait sa source dans l’ordonnance législative du 14 mai 1886. De toute évidence puisque cette ordonnance a été abrogé par les dispositions de l’ article 199 du Code de procédure civile.
D’autre part, la lecture de l’ article 118 la loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire permet de conclure que le juge judiciaire peut s’inspirer des principes généraux du droit en cas d’absence de la coutume ou lorsque celle-ci n’est pas conforme [aux lois], à l’ordre public et aux bonnes mœurs[3].
Bon à savoir : le terme « appliquer » employé par la Constitution signifie littéralement « Diriger son attention » c’est-à-dire mettre en œuvre, en pratique ce qui a été défini, prévu, décidé. Quant au terme « s’inspirer » utilisé par la loi sur les juridictions de l’ordre judiciaire, il ressort l’idée d’emprunter des idées de quelque chose, en l’occurrence, des principes généraux de droit.
La lecture combinée de ces deux textes enseigne que le juge judiciaire congolais est appelé à mettre en œuvre, d’appliquer, avant tout, les traités dûment ratifiés, les lois, les actes réglementaires et la coutume. Il peut toutefois trouver des idées dans les principes généraux de droit sans pourtant les appliquer.
Quant au juge administratif, les termes de l’ article 87 de la loi organique n° 16/027 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif sont sans équivoques en ce que ce juge ne peut se passer des principes généraux de droit.
L’examen de la question a conduit plusieurs auteurs à s’exprimer notamment Maitre Charles Théodore Tuka. Ce dernier a conclu que les principes généraux de droit demeurent une source importante et inépuisable du droit applicable par le juge congolais en toutes matières civile, pénale et administrative[4].
Pour le Professeur Dieudonné Kaluba Dibwa, l’utilité de ces principes, pour le juge, n’en est pas moins précieuse, car ils permettent souvent de combler les lacunes de la législation et contribuent ainsi efficacement à la solution de litiges[5].
Un autre auteur affirme avec force, s’agissant des principes généraux du droit, que le juge congolais l’applique et l’appliquera toujours parce qu’il est impossible de se passer de ces principes qui s’opèrent dans tous les domaines de droit et qu’il est également impossible de légiférer toutes les questions de la vie sociale[6].
Et pour reprendre les propos du Bâtonnier national, Maitre Matadiwamba Kamba Mutu, cette ordonnance du 14 mai 1886 est un pur produit de la sagesse législative. Elle a servi, sert et servira toujours increvable[7].
Le contexte de l’arrêt RPP 965
La société Total reprochait au Magistrat Otshudi d’avoir violé la loi dans l’objectif d’accorder à son adversaire beaucoup d’avantages qu’il ne méritait pas lors de la rédaction de son jugement sous RC 105.531 du Tribunal de grande Instance de la Gombe.
En effet, le litige qui opposait les antagonistes est né d’un conflit de travail. Ce Tribunal avait alors accordé à l’employé des avantages considérables au préjudice du demandeur en prise à partie.
Le fondement de l’arrêt RPP 965
La Cour de Cassation, sur base du principe : « Le criminel tient le civil en état », a établi le dol à charge du magistrat incriminé.
En effet, ce principe trouve son origine dans la règle de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil qui, dans le but d’éviter toute contrariété de décision entre la juridiction répressive et la juridiction civile, fait obligation au juge civil de sursoir à statuer dans toute affaire sur laquelle un Tribunal répressif est déjà saisi.
Ainsi, le magistrat incriminé, en condamnant la société Total, n’avait pas eu égard à une action pénale en cours d’instance entre les mêmes parties.
Toutefois, il faut rappeler que l’on retrouve la plupart de principes généraux dans les textes constitutionnels et législatifs. Avant son abrogation, l’ordonnance du 14 mai 1886 servait de fondement pour les principes généraux à valeur supplétive. Ils ne pouvaient s’appliquer qu’à défaut des dispositions écrites.
[1] http://www.justice-en-ligne.be/article648.html, consulté le 2 octobre 2019
[2] article 153 de la Constitution
[3] article 118 de la Loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire
[4] Les principes généraux du droit demeurent-ils toujours la source de droit applicable par le juge ? Par Charles Théodore TUKA IKA BAZUNGULA, Avocat à la Cour d’Appel de la Gombe, Président honoraire et Émérite de la Cour suprême de justice, in juriafrique.com
[5] Les principes généraux de droit demeurent-ils toujours la source de droit applicable par le juge ? Par Dieudonné Kaluba Dibwa, Avocat à la cour de cassation et au conseil d’État, in juriafrique.com
[6] Les principes généraux de droit demeurent-ils toujours la source de droit applicable par le juge ? Par Hippolyte Masani Matshi, Président au Conseil d’État, Ancien conseiller à la Cour suprême de justice, in juriafrique.com
[7] Ordonnance du 14/05/1886 de l’Administrateur général au Congo, relative aux principes à suivre dans les décisions judiciaires, Par Maitre Matadiwamba Kamba Mutu, Bâtonnier national, in juriafrique.com
Une question dans un dossier à la CCI pourrait être résolu à travers cet article
Quelles sont les principes généraux du droit congolais
Quelles sont les principes généraux du droit congolais
Tres edifiant
A mon avis cette condamnation tient si et seulement si le juge pénal avait été réellement saisi mais si s était qu’une action fantaisiste au parquet ou à la police, je dirai NON.