Dans son ordonnance ROR 097 du 8 janvier 2020, le juge des référés du Conseil d’État a ordonné la suspension de deux décisions du Conseil National de l’Ordre des avocats – CNO – qui subordonnaient l’éligibilité à la fonction de Bâtonnier à une ancienneté de 15 ans au Tableau de l’Ordre. Le juge a estimé qu’un doute sérieux planait sur la légalité de ces décisions, eu égard au principe de hiérarchie des normes.
Contexte de l’affaire : une candidature écartée sur la base d’un règlement irrégulier
Le 25 juillet 2019, Maître Kabanangi Balela Cedric déposa sa candidature à l’élection du Bâtonnier du Barreau de Kinshasa/Matete. Celle-ci fut rejetée sur la base de la décision n° 27 bis/CNO/RIC/13 du 10 octobre 2013, qui impose une ancienneté minimale de 15 ans. Or, selon les articles 44 et 48 de l’Ordonnance-loi n° 79-028 du 28 septembre 1979, seuls 5 ans d’ancienneté sont requis.
Estimant cette exigence illégale, Maître Kabanangi saisit le Conseil d’État d’une requête en annulation (RA 251), puis introduisit en parallèle une requête en référé-suspension, comme le permet l’ article 282 de la loi sur les juridictions de l’ordre administratif.
Le fondement juridique de la suspension : le doute sérieux sur la légalité
Le juge des référés a constaté que toutes les conditions posées par l’ article 282 étaient réunies :
- Existence d’une requête principale en annulation,
- Émanation de l’acte contesté d’une autorité administrative (le CNO),
- Urgence de la situation,
- Doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées.
Ce doute sérieux a été motivé par le non-respect du principe de parallélisme des formes : l’ article 29 du Règlement Intérieur Cadre – RIC -, qui fixait les conditions de candidature, reprenait les termes de l’ article 48 de l’Ordonnance-loi sur le Barreau. Il ne pouvait donc être modifié que si la disposition législative de référence était elle-même modifiée. En l’absence de modification de l’Ordonnance-loi, le CNO ne pouvait légalement augmenter l’ancienneté requise.
Le juge a également rappelé que la hiérarchie des normes impose à toute norme infra-légale de se conformer aux normes de rang supérieur.
Bon à savoir : Le parallélisme des formes est un principe juridique selon lequel un acte pris selon une certaine procédure ne peut être modifié ou abrogé qu’en suivant la même procédure. L’acte qui modifie ou abroge est dit « acte contraire ».
En effet, les décisions du CNO modifient l’ article 29 du Règlement Intérieur Cadre du Barreau – RIC-, or cet article 29 reprenait les termes de l’ article 48 de l’Ordonnance-loi n° 79-028 du 28 Septembre 1979 portant organisation du barreau, du corps des défenseurs judiciaires et du corps des mandataires de l’État.
Le RIC qui a été établi par application de cette Ordonnance-loi ne peut déroger à une disposition impérative de ladite ordonnance.
Dans le cas d’espèce, le principe de parallélisme des formes voudrait que l’ article 29 du RIC ne puisse être modifié que dans la mesure où l’ article 48 de l’ordonnance-loi sur le Barreau était amendé.
Ainsi, il existe une hiérarchie des règles à partir de laquelle le principe de la légalité trouve ses applications. L’acte individuel est donc subordonné au règlement qui est, lui aussi, subordonné à la loi : il ne peut lui être contraire. C’est une application du principe de la hiérarchie des normes.
La hiérarchie des normes est un classement hiérarchisé de l’ensemble des normes qui composent le système juridique d’un État de droit pour en garantir la cohérence et la rigueur. Elle est fondée sur le principe qu’une norme doit respecter celle du niveau supérieur et la mettre en œuvre en la détaillant. Dans un conflit de normes, elle permet de faire prévaloir la norme de niveau supérieur sur la norme qui lui est subordonnée. Cette hiérarchie ne prend tout son sens que si son respect est contrôlé par un juge.
Il s’agit du fondement même de l’État de droit.
Ce qui enerve dans cette histoire est que le Conseil de l’ordre était passé outre la décision du Conseil d’Etat